Arménie : vers un effacement programmé
Publié le 23/01/2024
Alors que la controverse entourant la désignation de Sylvain Tesson en tant que parrain du prochain Printemps des poètes continue de susciter des débats, l’historien Raphaël Lahlou revient sur le combat mené par cet écrivain aventurier sur l’Arménie.
Il y a des “silences pétitionnaires” qui semblent plus faciles que d’autres tonitruants effets dans l’infect, dans l’épuratif et dans le navrant. Il y a aussi, dans le même sens, des réflexes totalitaires plus rapides encore. On demande de nos jours à un poète de la prose ses papiers. On calomnie aussi un écrivain posthumement. On défèque en mots via les réseaux sociaux sur un journaliste honnête.
Les trois cibles sont : Sylvain Tesson, feu Jean Raspail, et le têtu Jean-Christophe Buisson. Les deux vivants sont d’acharnés et rares défenseurs français bien réels de l’Arménie. Le mort s’en souciait et l’aimait. Comme il aimait dire et vivre l’usage du monde, au-delà des caricatures faites de l’homme et de son œuvre.
Tous trois sont présentés sous la fausse figure de “l’icône réactionnaire”, formule de blague sinistre.
Abuser du mot d’icône ainsi, voilà qui va loin, mine de rien : on se fout des Chrétiens d’Orient et de leur sort tragique, des massacres subis par eux, mais on détourne aisément leurs icônes belles et justes, on trafique l’icône en général, plus piteusement que Malraux et les statues d’Asie, on débauche l’icône malmenée, en la recrutant pourtant: politiquement. C’est si facile, si faible quant au vieil esprit parisien mais commode, si parvenu et si mondain, si plein de faux chic et de chiqué.
Bref, cela tiendrait de l’hydre. Du monstre froid ou féroce, de la Gorgone contemporaine. Eh bien, eh bien: quid ? Cela me rappelle un mot du digne de regrets Jean Dutourd, mort en janvier 2011: “Je ne suis pas réactionnaire. Je suis réactif… Je n’aime pas les cons.” On attaque au nom de la politique (en la masquant de poésie fausse), que cette politique soit posthume ou présente, plus mal rêvée que bien réelle, en tous les cas, on écrabouille avec une joie mauvaise, un art du médiocre surtout à la fois: écrivain, journaliste ou poète. Mais si l’on veut faire un procès, ce n’est pas en fait, le moins du monde: au noble nom de la poésie.
C’est parce que l’usage français et quotidien (et non l’usage du monde cher à Nicolas Bouvier ou à quelques autres après lui ou comme lui) veut que tout écrivaillon à conscience affichée, à poésie mal torchée, à pétition à mâcher et remâcher se mue sans attendre, en toute hâte et sans honte : en procureur, voire en bourreau, malgré l’abolition de la peine de mort. Il y a chez le pétitionnaire à prétention poétique dans l’actualité française un Hébert qui sommeille, et qui voudrait bien encore une fois: la peau et la tête de Louis XVI. Cela fait frissonner. Je dis bien que c’est la politique qui prétend ici gouverner la poésie.
Une politique incarnée comme un pauvre ongle, ravie d’être vautrée dans le médiocre. Particulièrement irritante. Et puante. Une politique qui, quant à l’essentiel, se range dans l’attitude la plus grande possible pour elle: celle du mutisme. C’est assez facile. Cela permet d’oublier ces peuples dont, pourtant, entre deux ou trois mots filandreux, on affiche dans les dîners en ville, et: en apparence seulement: le souci. Parmi ces peuples à oublier pour ces poètes de papier, ces enragés du politique, ces maniaques, ces agités à coliques d’encre, ces cracheurs de caractères d’imprimerie, l’un se rappelle, obstinément et tout modestement cependant, à leurs silences choisis et volontaires: le peuple arménien, défendu par les bonshommes Tesson et Buisson ! Et, dans la presse, presque strictement: par ces deux cavaliers seuls !
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Ce qui se passe malheureusement, dans un silence presque intégral quant à l’Arménie et à son sort immédiat ou relativement et certainement à son futur proche et si précaire, c’est absolument immonde. Hors de paroles floues, vagues et assez molles, dans les actes, de fait: rien n’est fait pour défendre la grande, antique, la tranquille et véritable et belle nation arménienne. Qui n’a qu’un tort en nos temps émollients et déracinés: d’être née première forme étatique chrétienne au monde.
Doit-on rappeler sans cesse, sans se lasser, sans se décourager: que l’Arménie est une nation qui mérite de ne pas rester isolée ? Que son peuple est vaillant, directement et pleinement menacé, plus que jamais intégralement menacé ? Que ce peuple a déjà connu voilà plus d’un siècle un génocide ignoble et d’une immensité mémorable, mémorable aussi par le grand silence mou qui l’accueillît presque comme aujourd’hui la nouvelle échéance d’un génocide recommencé est plongée dans un silence violent et sans honte ? Faut-il rappeler en vain que les Arméniens sont un peuple encore vivant, qui ne parle pas une langue morte, et dont les enfants n’ont pas à subir de nouvelles et sauvages turqueries sanglantes ?
Faut-il penser que dans ce pays qui reste nôtre, on dénonce Sylvain Tesson au seul nom de la défense et de l’illustration poétique, alors qu’il est présenté par tant de journaux ineptes et eux toujours aussi muets sur tant de sujets tragiques, en le qualifiant : “d’icône réactionnaire”, qu’on pétitionne contre lui, qu’on couvre d’injures idiotes et lâches Jean-Christophe Buisson, plume franche, vaillant journaliste et solide historien des Balkans et de l’Arménie ?
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Faut-il clouer un poète véritable (‘Blanc’, ‘Avec les fées’, ‘La panthère des neiges’, ses éloges de Rimbaud ou sa quête d’Ulysse ou d’Homère le prouvent assez, son illustration de Notre-Dame de Paris également); faut-il conspuer un journaliste sérieux au nom d’une vision épuratrice et furieusement politisée de la poésie ? Et le faire en oubliant que ces deux “réactionnaires” sont surtout deux fortes consciences qui défendent avec vigueur l’Arménie, si douloureusement: abandonnée par ces journaux à principes criés, oui, ceux-là qui, aujourd’hui, font à tous la morale la plus basse et la moins courageuse ?
Allons donc! Qui prend encore au sérieux “Libération” et d’autres juges du maître-étalon juridique qu’est devenu le papier imprimé ? Hélas: du monde, encore. Curieusement !
Azéris et Turcs, massacreurs inspirés, faiseurs de cartes et d’ambitions honteuses, vous pouvez être tranquilles et définir en paix, dans le silence plat et habituel de nos journaux presque unanimes (médiatiques et minables “icônes” des misères gauchistes de la lâcheté coutumière, comme ils le furent aux temps pas si lointains où ils soutenaient Mao, puis : au moins aussi facilement, et conjointement du reste, et “Libération” au premier rang, et là tout comme aujourd’hui, dans la bassesse, dans la joie sordide : les assassins du peuple cambodgien, soutiens des morbides khmers rouges, pourtant “icônes” totalitaires et monstres réels et criminels évidents!)…
Pendant que les Azéris fourbissent leurs armes, leurs propagandes à munitions et à cartes truquées (comme celle-ci jointe qui circule sur divers réseaux depuis quelques jours, et qui prouve tous les culots possibles, en qualifiant entièrement l’Arménie : “d’Azerbaïdjan occidental”), l’urgence française reste donc de calomnier le bon marcheur Tesson et le calme hussard Buisson.
On nie au premier ses qualités poétiques si claires et belles, on va pour cela cracher posthumement sur le grand voyageur et rêveur Jean Raspail (mort, l’attaquer est si facile), on cherche à verser sur le second quant à ses courages et sa constance, sa ténacité, des vagues d’insultes et des saletés fausses. Habitude intellectuelle française. Manie de mauvais historiens. De journalistes manqués. Je sais décidément pourquoi depuis longtemps je préfère le mot de: “lettré” à celui si prétentieux et si vidé de sens, si galvaudé, si ridicule désormais qui est celui d’une fausse figure, d’un mauvais masque, au mot infâmant par ses silences et ses lâchetés qui sont ses seules affirmations d’actualité sans vaillance aucune, soit le veule et pompeux: “intellectuel”.
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Comme je ne me sens ni intellectuel, ni poète du genre nouveau, soit donc: sans la moindre tripe, comme je n’avoue pas mon souci de demander à tel ou tel poète, à tel ou tel écrivain, à tel ou tel journaliste ses papiers avant d’estimer ce qu’il écrit, je veux dire et crier ma lassitude des ratés, ceux de la poésie fausse comme ceux de la presse lamentable. Presse déshonorée et inavouable de longtemps.
Je hais les silences affirmés avec vaillance, je hais ceux qui choisissent leurs guerres, leurs peuples à défendre, les guerres aussi et les peuples qu’il conviendrait d’abandonner faute de pouvoir être : “dans les petits papiers du Mercure François”.
On se gargarise d’un scénario allemand et bidon en plein, d’une hypothèse stupide d’entraînement militaire germanique quant à une rêverie de guerre mondiale en 2025; on promet armes et économie de guerre forcée à toute l’Europe, et la France est dans ce ton là, si forcé, de fausset faussé, dans ce tempo à hauts risques. On se fait reluire, on se réjouit chez beaucoup d’une inflation nucléaire. Il suffit d’entendre bien des officiers en retraite devenus consultants médiatiques. Mais, hors de petites gesticulations diplomatiques (présidentielles, pas ministérielles, ce qui relativise beaucoup le poids du nouveau venu au Quai d’Orsay, M. Séjourné, lequel fait regretter M. Jobert, ce qui date, certes), l’Arménie n’est défendue par personne ou quasi, en France.
Le Président parle. Mais agit-il? Le fera-t-il ? Il le dit, mais en même temps…
L’Arménie n’est pas secourue par nos institutions. Donc: pas par ceux qui, directement, publiquement, officiellement et politiquement enfin devraient le faire (nos diplomates, nos représentants nationaux, pour l’essentiel (à l’exception des membres de la communauté arménienne de France et du jeune et vif François-Xavier Bellamy et d’une poignée de parlementaires agissants, de ceux qui ne se contentent pas que de mots, mais qui voudraient aboutir à une série concrète d’actes). Elle ne l’est aujourd’hui encore par aucun pétitionnaire isolé ou à allure massive. Ni mieux ni mal : par des manœuvriers querelleurs et qui se disent eux seuls et pour bien moins que la moitié de leurs quartiers respectifs: poètes.
Mettons qu’ils ne soient que des procureurs, d’estrades pauvrettes.
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L’Arménie n’est pas mieux défendue par eux que la poésie. Elle n’est pas soutenue par des conseillers militaires pour plateaux télévisés. Ni par des pétitionnaires variés et à géométrie et géopolitiques variables. Ni par ces partis politiciens qui voient des génocides partout, sauf là où il devient urgent de les empêcher. Nous avons bien des manieurs de pauvres jeux en France, bien des joueurs manqués, bien des truqueurs de cartes, bien des consciences faciles, enfin aussi: bien des pétitionnaires nationaux ou internationalistes. Les poètes, les historiens sont généralement leurs cibles faciles.
Ils seraient bien braves, ces pétitionnaires, ces militants de la littérature engagés, ces défenseurs de tant de choses floues, s’ils se mobilisaient pour un peuple dont les gouvernements azéris et turcs, et leurs divers complices occidentaux et internationaux vont jusqu’à nier l’existence présente et le droit à la vie paisible future.
On se prépare à faire disparaître toute l’Arménie de la carte du monde, avec le soutien de bien des armes, et d’abord celle de la propagande la plus menteuse et la plus dégueulasse au possible, mais on ne voit aucun petit poète, aucun écrivassier de pétition demander à MM. Alyev et Erdogan leurs intentions, leurs ambitions au-delà des cartes qu’ils exhibent et font circuler. Les cartes truquées, ce sont les seules libres de circuler chez ces messieurs, chez ces gouvernants qui se foutent des poètes vrais ou faux et qui emprisonnent dans leurs pays respectifs bien des artistes, bien des auteurs, bien des musiciens, bien des consciences libres, bien des êtres doués.
Seulement, vers vous, Messieurs les poètes de papier de France et d’imprimerie journalistique, une question me vient ce soir, pour votre destination : après l’Arménie oubliée, abandonnée et future martyre, à quel pays, à quel peuple le tour ? Poètes relatifs, à vos papiers, à vos stylos: vous avez quatre heures ! A vos consciences, aussi, mais sans doute, pour elles : le délai concédé devrait être plus long… Hélas.
Homère chantait la guerre, sans la manquer. Ni la masquer. L’ex-poète Rimbaud traficotait des armes, lui : il ne signait point de pétitions. Vous, ô, modernes à minuscules: vous choisissez vos cibles avec facilité, sur papiers. Et vous choisissez et oubliez au moins aussi vite vos guerres. Et les peuples qui valent votre peine … ou non ! Avec médiocrité. En consciences bornées.
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