Des soldats français de la Task Force Wagram ouvrent le feu contre des positions tenues par l'État islamique en Syrie en 2018. ©Zakia Gray

Des soldats français de la Task Force Wagram ouvrent le feu contre des positions tenues par l'État islamique en Syrie en 2018. ©Zakia Gray

Un rapport de l’Assemblée nationale met en avant les insuffisances de l’industrie de défense européenne. Entre faible dimensionnement, dispersion du tissu industriel, manque de financement ou encore nécessité de souveraineté des États, l’autonomie stratégique du continent est encore loin.

 

Dans son discours du 25 avril à La Sorbonne, Emmanuel Macron appelait de ses vœux à une « défense européenne crédible […] face à la Russie devenue beaucoup plus menaçante depuis son invasion de l’Ukraine en février 2022 ». C’est dans ce contexte de tensions internationales accrues depuis deux ans que les députés Jean-Charles Larsonneur (NI) et Jean-Louis Thiériot (LR) ont présenté leurs conclusions sur les défis actuels de l’industrie de défense européenne confrontés à un manque d’autonomie stratégique.

 

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Marché de niche, l’industrie de défense en Europe représente 70 milliards d’euros pour 500 000 emplois. Néanmoins, un ensemble de problématiques structurelles demeure. « L’industrie de défense européenne n’existe pas, il n’existe que des industries de défense en Europe » rappelle le co-rapporteur, Jean-Louis Thiériot dans le document. « La plupart des champions européens manquent de taille critique par rapport à leurs grands concurrents, notamment américains ». BAE Systems est ainsi la seule société européenne à figurer dans le top 10 mondial. Le secteur est marqué par une fragmentation significative avec de nombreux acteurs de petite ou moyenne taille difficilement capable de rivaliser avec des géants américains. Parmi les 100 plus grosses entreprises de défense, les cinq premières sont américaines et totalisent à elles seules 32 % du chiffre d’affaires total du classement.

 

Des faiblesses structurelles et financières

Le rapport précise également que la dispersion des ressources a conduit à une concurrence interne plutôt qu’à une collaboration productive. Les modèles industriels de défense varient considérablement d’un pays à l’autre, compliquant davantage les efforts de coopération. La dépendance aux fournisseurs non-européens pour des composants critiques expose l’Europe à des risques stratégiques en cas de tensions géopolitiques. Une situation qui compromet l’autonomie stratégique et la sécurité d’approvisionnement de l’industrie de défense européenne.

 

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Les années de sous-investissement, conséquences des « dividendes de la paix » après la Guerre froide, ont limité la capacité d’innovation et de maintien des capacités avancées de l’industrie. « Pendant que les Européens se réjouissaient du renforcement des liens économiques avec nos compétiteurs stratégiques, ces derniers construisaient patiemment leur autonomie et considéraient nos dépendances à leur égard comme autant de vulnérabilités susceptibles d’être exploitées le moment venu. » précise le rapport.

Malgré quelques améliorations dans le financement bancaire, le secteur reste sous-financé, particulièrement au niveau des PME de défense, qui rencontrent des difficultés majeures pour attirer des investissements en capital. En mai, le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu a menacé de révéler le nom banques tricolores bloquant les financements de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) en lien avec la dissuasion nucléaire française. « Je ne donnerai pas le nom de la banque, nous sommes en train de lui laisser sa chance… Mais je n’exclus pas le moment venu de faire du « name and shame » avait-t-il prévenu. « Vous avez des PME qui se voient refuser des financements par une banque de détail bien connue dans le pays au titre de (leur) sous-traitance pour la dissuasion nucléaire, car il s’agirait d’une arme, je cite, « controversée ». »

 

Défis de coopération et domination américaine

Ces coopérations industrielles sont souvent entravées par des intérêts nationaux divergents, chaque pays cherchant à protéger ses emplois et son savoir-faire. Cette situation freine les initiatives de collaboration transnationale. L’essor de stratégies nationales concurrentes, comme celle de l’Allemagne, nuit aux efforts d’intégration européenne. Le secteur spatial, par exemple, est particulièrement affecté par cette compétition intra-européenne. Elle « constitue un non-sens dans un contexte où la véritable compétition se joue à l’échelle mondiale, notamment face aux États-Unis, qui concentre plus de trois-quarts des investissements dans l’économie spatiale » précise le document.

 

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Les États-Unis maintiennent une position dominante en Europe grâce à leur avance technologique et leur capacité à fournir rapidement du matériel militaire. L’exemple du F-35, préféré par plusieurs pays européens, illustre cette domination. Cette situation pose également des risques pour l’autonomie stratégique de l’Europe, car les industriels du Vieux continent pourraient se retrouver cantonnés à des rôles de sous-traitance pour les grandes entreprises américaines, limitant ainsi leur capacité d’innovation et de développement indépendant. L’émergence de nouveaux concurrents, comme la Corée du Sud, ajoute une pression supplémentaire.

 

La guerre en Ukraine : révélateur et catalyseur

La guerre en Ukraine a poussé les pays européens à augmenter leurs dépenses de défense. Une hausse qui a peu profité à la BITD européenne, toujours dépendante des importations. « Parmi ces importations, plus de 55 % proviennent des États-Unis (contre 35 % entre 2014 et 2018) » indique le document. Le conflit a également accéléré la mise en place de financements communautaires visant à renforcer les capacités de production en Europe et à réduire la dépendance aux importations. Des initiatives telles que le « plan munitions » et le dispositif ASAP (Act to Support Ammunition Production) illustrent ces efforts.

 

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Avant la guerre en Ukraine, les tentatives de l’UE pour harmoniser le marché de la défense étaient restées inabouties. Le conflit a mis en lumière l’importance d’une politique industrielle de défense commune. Des initiatives comme le Fonds Européen de Défense et le dispositif EDIRPA (European Defence Industrial Reinforcement through Purchasing Act) montrent les efforts pour soutenir la production et encourager les acquisitions conjointes. Ces mesures, bien que prometteuses, soulèvent des préoccupations quant à une éventuelle « communautarisation rampante » de la politique de défense, perçue comme une menace pour la souveraineté des États membres. Autant de défis qui se confrontent à la réalité des intérêts souverains de chaque pays européen.

 


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