Destruction d'un bâtiment à Gaza en 2022. Image d'illustration ©Mohammed Ibrahim

Le 7 octobre 2023, le Hamas mène une attaque sur Israël assassinant plus de 1 000 civils, 350 soldats et forces de sécurité israéliennes et capturant plus de 200 otages. Julien Aubert, ancien député du Vaucluse, vice-président des Républicains, président d’Oser la France et chroniqueur pour le média Le Dialogue revient sur ce massacre.

 

11 septembre, Bataclan : les comparaisons ont été nombreuses pour donner un nom à l’innommable. Israël a désormais son « Sabra et Chatila », du nom des deux camps où des civils palestiniens avaient été massacrés par des phalangistes au Liban : il s’agit des kibboutz de Kfar Aza et Beeri. Y ont été retrouvés une centaine de corps. Hommes, femmes, enfants, personnes âgées peu importe. Signes de tortures, brûlés vifs dans leur maison, fusillés. Une journaliste relate avoir trouvé une femme enceinte éventrée avec le bébé accroché au cordon ombilical à côté d’elle. Sans compter des bébés décapités.

Bien sûr, la désinformation s’est mise en marche pour nier les faits, ce qui est la preuve que les soutiens du Hamas ont compris leur funeste erreur. L’agence de propagande turque d’Erdogan a ainsi publié un prétendu article affirmant qu’aucun enfant n’avait été décapité, laissant entendre qu’aucun enfant n’avait été tué par le Hamas. Ce n’est pas la première fois. La négation de la Shoah -présentée comme un mythe ou une propagande occidentale- a été soutenue en son temps jusqu’au plus haut niveau des autorités politiques du monde arabe.

 

Le déni israélien

Pour comprendre la douleur des Israéliens face à ce déni, que les arabes se souviennent de Deir Yassin, ce village martyr de 700 habitants, situé légèrement à l’ouest de Jérusalem, dont une partie de la population – environ une centaine, d’après les recherches les plus récentes, dont des femmes, des vieillards et des enfants – avait été massacrée le 9 avril 1948 par des mouvements paramilitaires sionistes. Le souvenir de ce massacre avait servi de cri de guerre aux palestiniens et profondément marqué les opinions publiques.

 

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En mars 1969, le ministère israélien des Affaires étrangères avait pourtant publié des « Background Notes on Current Themes : Deir Yassin » pour laver l’honneur des sionistes : le document déclarait cyniquement qu’aucun massacre n’avait eu lieu et que, depuis 1948, les Arabes s’étaient rendus coupables de « projection de leur culpabilité » et de la technique du « grand mensonge », dans le but de détourner l’attention des atrocités commises par leur côté. Il allait même à dire que le « mythe de Deir Yassin » faisait partie d’un « ensemble de contes de fée, destinés à être exportés ou consommés à domicile ». Ces affirmations étaient fausses, mais assassinaient une seconde fois les victimes.

Qu’on soit athée, juif, chrétien ou musulman, de tels crimes ne peuvent être ni compris, ni admis ni pardonnés. Pourtant, pour beaucoup de gens qui sont défenseurs d’un État Palestinien et critique du sionisme en tant qu’il nie au peuple palestinien le droit d’exister, cette vérité dérange et certains esprits faibles ont été tentés de minorer la responsabilité du Hamas, en rappelant les exactions commises par Tsahal. Qu’on se rassure, personne n’a oublié Mohammed Al Dura, un jeune Palestinien de 12 ans, tué par balles à Gaza, le 30 septembre 2000. Personne n’ignore que le conflit israélo-palestinien existe, et qu’il ne tue pas que d’un seul côté. Rappelons qu’en 2022, au moins 220 personnes ont péri dans des attaques israéliennes dans les territoires occupés, dont 48 enfants.

Invoquer la loi du Talion ne rendra cependant ni la terre ni la paix au Proche-Orient.

Elle est du reste ici en décalage, car si des morts civiles ont pu être recensées lors de ripostes ou d’attaques israéliennes, elles n’étaient pas visées en tant que telles, mais victimes collatérales d’affrontements militaires. Ce fut le cas en juillet 2002 lorsqu’un chasseur F-16 des FDI (Forces de défenses israéliennes) a largué une bombe d’une tonne sur une partie densément peuplée de la ville de Gaza qui a fait 17 morts pour l’élimination d’un responsable du Hamas. De même, lors des intifada, la majorité des enfants palestiniens tués l’ont été dans les Territoires occupés, lorsque des membres des FDI, l’armée israélienne, ont réagi à des manifestations et à des jets de pierres en faisant un usage abusif de la force armée, au mépris du droit international.

Tout ceci est vrai. La guerre est tragique, et voilà pourquoi le droit essaye de fixer des règles à une lutte à mort, pour que les belligérants n’oublient pas qu’on ne fait pas la guerre pour la guerre, mais au service d’un objectif politique – et que celui-ci peut parfois être atteint par la voie de la diplomatie. Yasser Arafat l’avait compris. Or, lorsque la guerre dépasse certaines limites, plus aucune paix n’est possible : les blessures sont trop profondes pour pardonner et oublier.

 

L’horreur du 7 octobre 2023

Les exemples cités étaient des violations claires du droit de la guerre, mais n’atteignaient pas le seuil critique atteint le 7 octobre 2023. Ici, une étape vers l’horreur a été franchie car il s’agissait de tuer pour tuer, en semant l’effroi. Au plan juridique, ce terrorisme est assimilable à un crime contre l’Humanité : des meurtres et actions d’extermination « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population et en connaissance de l’attaque ». Mais au-delà du droit, c’est une vérité humaine et intuitive car en permettant de telles exactions, c’est chaque humain, en tant que père ou mère, qui est meurtri.

 

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Le Hamas a ouvert les portes de l’Enfer et rejoint un club très fermé de gens qui dans l’Histoire ont massacré de sang-froid des enfants au nom de la race, comme les nazis ou les soldats de Daech. Les tentatives de recontextualisation dans un processus plus large de conflit au Proche-Orient sur la terre de Palestine, et sur le Ciel, entre deux religions, n’excusent rien. Le Hamas a attaqué Israël non pas en invoquant un État Palestinien mais au cri de « Dieu est grand » – mais que disent les textes religieux musulmans ?

Dans la Tradition musulmane, la vie est sacrée dès son commencement jusqu’à sa fin naturelle : « Ne tuez qu’en toute justice la vie que Dieu a faite sacrée », dit le Coran v 151 s 6. Le Coran verset 93 s 4 confirme : « Quiconque tue intentionnellement un être humain, sa rétribution sera alors l’Enfer, pour y demeurer éternellement. Dieu l’a frappé de Sa colère, l’a maudit et lui a préparé un énorme châtiment ».

En Islam, on ne tue pas les enfants même en situation de guerre contre un ennemi, car le Prophète a interdit de tuer les femmes et les enfants, comme le rapportent les hadiths. Le même hadith, attribué à ‘Abdallah Ibn ‘Umar – le fils du second Calife Umar – est recensé par Mouhammad al-Boukhari dans son Sahih al-Bukhari et Muslim ibn al-Hajjaj dans son Sahih Al-Musnadu Al-Sahihu bi Naklil Adli (dit Sahih Mouslim) « J’ai trouvé une femme qui avait été tuée durant l’une des batailles du Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui), alors le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a interdit de tuer les femmes et les enfants ». On trouve un autre hadith dans le Sahih Mouslim, de Buraydah ibn Al-Ḥusayb Al-Aslamî : « Lorsque le Prophète nommait quelqu’un à la tête d’une armée ou d’une brigade, il l’exhortait à craindre Allah et à bien se comporter avec les musulmans qui étaient avec lui, puis disait : « Conquérez au nom d’Allah, pour la cause d’Allah et combattez ceux qui renient Allah ! Conquérez, ne dérobez point de butin, ne trahissez point, ne mutilez point de cadavres et ne tuez point d’enfants… ».

Ces hadiths tranchent avec la violence présente dans la Torah.

Dans le Deutéronome, cinquième livre de la Bible Hébraïque (Ancien Testament) et dernier de la Torah, qui contient le récit des derniers discours de Moïse aux Israélites et le récit de sa mort, il est écrit : « Mais dans les villes des peuples dont l’Éternel, ton Dieu, te donne le pays pour héritage, tu ne laisseras la vie à rien de ce qui respire. Oui, tu extermineras ces peuples – les Hittites, les Amoréens, les Cananéens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens – comme l’Éternel, ton Dieu, te l’a ordonné » (20/16). La raison de cette injonction est explicite : « Tu ne feras point de pacte avec eux ni de compromission avec leurs divinités. Qu’ils ne subsistent point sur ton territoire car ils te feraient prévariquer contre Moi, de sorte que tu en viendrais à adorer leurs divinités, et ce serait pour toi un écueil. » (Exode 23:32).

Dans le livre de Samuel (15/3), qui raconte les faits d’armes de Saul (ou Talut dans le Coran), premier roi des Israélites en Terre d’Israël, il est dit à propos des Amalécites, un terme générique et sans doute a-historique pour désigner l’Ennemi constant, voire héréditaire d’Israël : « Vous devrez vouer à l’interdit tout ce qui lui appartient. Tu ne l’épargneras point. Tu mettras à mort, hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes ». Saul épargne le bétail et l’Éternel le punit.

Le Coran a donc apporté sur ce point une véritable avancée humaine – civilisationnelle – dans l’appréhension de la vie humaine par rapport aux religions révélées plus anciennes, et est finalement plus proche de la philosophie du nouveau Testament chrétien (où le massacre des Innocents commis par le roi Hérode est présenté de la manière plus négative qu’il soit, puisque Jésus en réchappe). Quant à la Torah, elle a été réinterprétée à la lumière de la modernité. La tâche de l’exégèse rabbinique a défini à quelles conditions il était possible, sinon obligatoire, de surseoir à l’anathème de la destruction de l’adversaire, en s’appuyant sur d’autres passages du livre de Josué ou de l’attitude de Salomon (nommément en cas de reddition et de repentance).

 

Le défi musulman

Pour les peuples musulmans, cette sauvagerie est donc un redoutable défi, car il représente une régression et un défi lancé à leur propre civilisation. C’est d’autant plus douloureux que bien entendu leur sympathie naturelle va au peuple palestinien, privé du droit à un État indépendant depuis 1948. Les clés emportées après la Nakba par les familles palestiniennes n’en finissent pas de rouiller mais la lucidité sur le rapport de force oblige à reconnaître que sauf à spéculer sur l’annihilation totale d’un des deux peuples, leur coexistence forcée est un fait structurant pour l’avenir.

 

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En commettant de telles exactions, le Hamas s’est discrédité définitivement dans les opinions publiques occidentales, car il ne s’agit pas d’anti-sionisme mais d’antisémitisme. C’est d’autant plus contre-productif que la politique de Benyamin Netanyahou est loin de faire l’unanimité, et que la société civile israélienne était en train de s’insurger. Le Hamas a ressoudé ceux qui s’affrontaient la veille, religieux et laïcs, gauche et droite, car le sang qui a coulé n’a pas de couleur politique ou sociale. Pour les peuples concernés, l’heure du réveil a sonné. N’est-il pas temps de comprendre ce qui s’est joué depuis Oslo ?

Depuis maintenant trente ans, les extrémistes des deux camps cherchent à faire dérailler le processus de paix. En 1995, l’assassinat d’Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien à la fin d’une manifestation pour la paix en soutien aux accords d’Oslo sur la place des Rois d’Israël à Tel-Aviv, par un terroriste ultra-nationaliste israélien nommé Yigal Amir, a en réalité permis de donner le pouvoir à Tel-Aviv à des faucons, fermement opposés à l’initiative de paix d’Yitzhak Rabin et particulièrement à l’accomplissement des accords d’Oslo. Si on met de côté la parenthèse Ehud Barak et Ehud Olmert (cinq ans), les premiers ministres qui se sont succédés ensuite (en commençant par Ariel Sharon et en terminant par Netanyahou) ont tous œuvré dans un sens sécuritaire. Un quart de siècle perdu.

 

Les erreurs d’Israël

La première erreur des gouvernements d’Israël a été de faire de la sécurité un « Tout », comme si la menace nucléaire iranienne – qui est une menace existentielle pour Israël – avait le même degré de dangerosité que la menace terroriste palestinienne. Ce faisant, la recherche d’une solution pacifique aux frontières a progressivement été reléguée au second plan. La seconde erreur a été de prioriser dans les faits la recherche de la paix avec le monde arabe, en ignorant l’effondrement de la Palestine et en colonisant sans bruit. Je crois au contraire qu’il valait mieux renforcer comme interlocuteur l’Autorité Palestinienne face au Hamas, pour montrer qu’une coexistence était possible.

Finalement, Israël a réalisé une forme de prédiction auto-réalisatrice, c’est à dire que la « petite » menace palestinienne est devenue un outil de la « grande » menace iranienne.

On me rétorquera qu’à défaut de faire la paix en Palestine, les accords d’Abraham permettaient de stabiliser une région qui en a bien besoin. C’est exact et c’est incontestablement un succès pour Netanyahou. Néanmoins, il a précipité une convergence de l’axe chiite avec le Hamas sunnite, de la même manière qu’autrefois le Hezbollah a pu être instrumentalisé par la Syrie alaouite. Le but du Hamas dans cette action terroriste est de détacher l’Arabie Saoudite d’Israël en l’obligeant à réagir aux inévitables drames qui vont ensanglanter les représailles israéliennes.

 

Un besoin de courage politique

Ce cycle mortifère provocation – massacre – représailles ne profite à personne. Le peuple Palestinien vit sous le joug d’une administration soit faible et corrompue, soit militarisée et islamisée, et n’a plus aucun horizon d’espoir. Le peuple Israélien s’est barricadé, sa société s’est polarisée et fracturée, et sa démocratie a reculé au profit des ultra-religieux et des penchants autoritaires. Le monde arabe est quant à lui travaillé par des mouvements islamistes terroristes et obligé de s’armer au lieu de développer son économie, alors que nous rentrons dans l’après-pétrole. Un acte de courage serait une réprobation forte et sans nuance des opinions arabes vis à vis du Hamas : pas en mon nom. Ce qui ne fut jamais pardonné à Deir Yassin ne peut pas l’être à Kfar Aza.

Un autre acte de courage est attendu du côté d’Israël, une fois l’émotion légitime atténuée, pour agir avec retenue, en se refusant à céder à l’esprit de vengeance. A terme, Israël comprendra que le mur et les barbelés n’amènent pas à la sécurité totale et ne peuvent être qu’un pis-aller face au défi démographique arabe. Il doit mettre fin à la dérive sécuritaire et religieuse qui n’a amené au peuple israélien que plus de haine et d’insécurité.

Un troisième acte de courage est nécessaire enfin de la part de l’Arabie Saoudite, en ne cédant pas au chantage du Hamas. L’exemple de la réconciliation franco-allemande montre que la paix ne se fait pas sur la repentance et la recherche de responsabilités, mais sur un acte de courage et en bâtissant des solidarités de fait. C’est à ce prix que les héritiers d’Abraham, au propre comme au figuré, à défaut de s’aimer pourront un jour voir grandir leurs enfants sans crainte de les voir périr sous leurs yeux.

 


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