©G.Corsan/Flickr

Agriculteurs attaqués, élevages incendiés, campagnes de dénigrement dans les médias grand public… le monde paysan n’a pas besoin de cela pour être au bord de la rupture.

 

L’« agribashing » est un nom commun apparu sur Twitter en 2016. Il critique des modes de production intensif ; le dénigrement systématique du secteur agricole. Dans les faits, l’« agribashing » a pris plusieurs formes ces dernières années, de la désinformation aux insultes en passant par les violences physiques. Voici un tour d’horizon de ce phénomène qui cible nos campagnes.

 

Les émissions télé : la grande fabrique anxiogène

Étonnamment, les coups les plus rudes portés au secteur agricole sont venus des chaînes de télévision du secteur public. L’émission la plus connue reste sans conteste le programme-phare de France 2, Cash Investigation d’Elise Lucet, qui promettait à ses téléspectateurs, numéro après numéro, de lever le voile sur les mauvaises pratiques des entreprises et des industries. Le monde agricole n’y a pas échappé, les agriculteurs étant comparés à des empoisonneurs à cause, par exemple, de l’utilisation de produits phytosanitaires. Des accusations relayées par le quotidien Le Monde avec un titre sonnant comme un couperet : « Cette agriculture qui tue ». Le postulat de départ de l’émission sensationnaliste est clair : « Les pesticides, nous en mangeons, nous en buvons et nous en respirons. Ils font la fortune de quelques géants de l’agrochimie – six, exactement – et ont des conséquences graves sur la santé publique. » Et l’émission de monter en épingle des cas de maladies graves, attribués aux pesticides, de quoi entretenir la peur des Français, surtout quand une voix off assène un chiffre choc : 97% des fruits et légumes que nous mangeons contiendraient des pesticides.

Mais voilà, après diffusion de l’émission, les révélations font pschitt . Non, 97% des produits ne sont pas empoisonnés, mais se situent sous la limite des taux autorisés par les autorités sanitaires, parmi les plus strictes qui soient. Cette désinformation mise à jour n’a pas empêché l’équipe de Cash Investigation de remettre le couvert en 2019 avec une émission consacrée aux semences, en parlant d’un hold-up des multinationales sur nos fruits et légumes. Rebelote en 2019, cette fois au programme d’Envoyé spécial, avec une fois encore Elise Lucet à la baguette. Cette fois, c’est Monsanto qui est dans la ligne de mire de journalistes aux pratiques faisant fi de toute déontologie. « J’ai été piégé – raconte Vincent Guyot, agriculteur de l’Aisne, accusé de faire du lobbying pour la firme américaine –Ça a été difficile lors de la diffusion, et très difficile lors de la reprise par la presse régionale, ils m’ont fait passer pour un salaud. Les journalistes ne sont pas venus chercher l’information pour leur histoire, et ont donc manipulé la vraie histoire. »

Trop souvent, les journalistes dits d’investigation veulent prouver leur postulat de départ sans faire d’enquête sérieuse. C’est également le cas de l’un des collaborateurs habituels d’Elise Lucet pour l’émission Vert de rage. En 2020 par exemple, une conférence de presse organisée par Martin Boudot prétendait révéler que les Bretons étaient empoisonnés à cause de l’utilisation d’engrais minéraux nécessaires à la culture de la pomme de terre. Sa conclusion : 20% des 57 personnes dont l’urine a été testée montreraient un taux trop élevé de cadmium. L’information est reprise sans discernement par plusieurs médias. Là aussi, comme pour Cash Investigation, les conclusions reposent sur un postulat de départ et non pas sur des preuves. En effet, la contamination au cadmium –  métal lourd qui est ici pointé du doigt – se fait principalement par le tabagisme et par la consommation de poisson et de fruits de mer, comme vient de le confirmer une nouvelle étude de Santé publique France en juillet dernier, et non à cause des pommes de terre.

 

Les insultes : le moindre geste devient suspect

Toutes ces fausses informations atteignent leur but : mettre le doute dans l’opinion publique. Au point où le moindre geste des agriculteurs devient suspect . « J’étais en train de pulvériser dans mon champ – raconte Guillaume Larchevêque, agriculteur dans l’Orne – J’ai été stoppé par un voisin qui m’a indiqué que la semaine passée, j’étais déjà en train de traiter et que depuis sa femme toussait.» L’agriculteur n’était pas en train d’épandre de pesticides, mais des produits destinés à la production bio. « Je suis resté un peu estomaqué de me dire ‘mais comment ça se fait qu’on me demande des comptes sur ce que je suis en train de faire dans mes champs ?’. J’essaie d’évoluer, de progresser. On ne se pose plus la question de ce que l’on fait. Si on sort ce type de matériel, on est mis au banc des accusés. On se fait insulter, on nous fait des bas d’honneur, c’est dévalorisant. Heureusement que nous avons les nerfs solides. » L’affaire en est restée là. Mais tous n’ont pas les nerfs aussi solides : le suicide des agriculteurs  a d’ailleurs fait l’objet d’un rapport parlementaire remis au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie en décembre dernier.

Cette suspicion permanente est devenue insupportable  pour les agriculteurs français : « On est insulté, montré du doigt, c’est dur à vivre – déplore Fabienne Garel, productrice de lait et présidente de la FDSEA des Côtes d’Armor. – Au quotidien, toutes nos pratiques sont remises en cause. Quand certains de mes collègues prennent le tracteur avec la tonne à lisier ou le pulvérisateur, ils sont insultés.» Et parfois, les militants écologistes ou animalistes comme les radicaux du groupe L214  vont beaucoup plus loin.

 

Les attaques physiques : les agriculteurs comparés à des nazis

Au-delà des insultes, Fabienne Garel sait aussi que ses pairs sont les cibles d’actions violentes : « Nos élevages subissent des intrusions, des attaques de plus en plus violentes et ça nous fait très peur et très mal parce que nous faisons notre métier avec engagement, dans le respect de l’environnement et du bien-être animal. » Ces faits divers se retrouvent dans les pages intérieures des quotidiens régionaux : un élevage vandalisé par-ci, un autre incendié par-là, avec des tags accusateurs et diffamatoires tels que « assassins » ou « camp de la mort », comme ce poulailler réduit en cendres à Normandel, dans le Perche. Qu’ont fait les agriculteurs français pour être comparés à des nazis ?

« Ce sont des bâtiments et du matériel qui sont touchés, mais ça va plus loin que ça – déplore Alexis Graindorge, président des Jeunes Agriculteurs de l’Orne. – C’est un outil de travail qui disparaît totalement, ce sont des salariés qui se retrouvent au chômage, c’est une production qui va mettre du temps à repartir. J’ai peur que certains agriculteurs se fassent justice eux-mêmes.» Autant de situations qui avaient par exemple poussé les agriculteurs français à « monter » sur Paris en 2019 avec leurs tracteurs, à l’appel du principal syndicat agricole, la FNSEA, pour crier leur ras-le-bol face à l’agribashing.

Depuis 2016, de nombreuses actions ont ciblé les agriculteurs français. Au point que le Sénat, en 2021, publie finalement un rapport d’enquête sur les conséquences de l’agribashing : « 40% des agriculteurs interrogés ont vécu au moins une situation de harcèlement lors du dernier mois (critiques permanentes, harcèlement téléphonique, fausses rumeurs, jugements blessants ou injustes, introduction illégale dans l’exploitation, etc.). 20% d’entre eux indiquent y avoir été confronté tous les jours ou presque. […] Les rapporteurs ont acquis la conviction que la fréquence accrue de ces faits isolés, à l’apparence mineure, augmentent considérablement, ces dernières années, la détresse des agriculteurs, ayant perdu à la fois la reconnaissance économique de leur travail et la reconnaissance sociale de leur fonction. » Il est temps que cela change.

 


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