Statue de Sun Yat-sen au mémorial qui porte son nom à Canton en Chine. © Mathias Apitz

En complément du Plan de Reconstruction Nationale (Jianguo dagang) et du Manifeste du Congrès (1924), le Parti Guomindang a réussi à consolider le triple idéalisme hérité de Sun Yat-Sen en un texte canonique, établissant ainsi une doctrine politique à laquelle la société chinoise se réfère encore aujourd’hui pour orienter ses relations avec l’étranger. Ce message fort, considéré comme celui du père de la République chinoise, a été symbolisé en octobre 1979 par le remplacement de la statue de Mao Zedong par celle de Sun Yat-Sen sur la place Tian’anmen. Il est désormais honoré aux côtés de Marx, Engels et Lénine. Son héritage est revendiqué non seulement par Taïwan, mais également par Pékin, même aujourd’hui.

 

« La meilleure façon de commémorer Sun Yat-Sen est d’apprendre et de perpétuer son esprit inestimable, d’unir tout ce qui peut être uni et de mobiliser tout ce qui peut être mobilisé pour poursuivre la poursuite de la Chine rajeunie dont il avait rêvé. » expliquait le président chinois Xi Jinping le 12 novembre 2016.

L’Occident ne l’a jamais considéré parmi les grandes œuvres de la pensée chinoise contemporaine et depuis un demi-siècle, ne lui consacre presque aucune étude. Et pourtant ! Le Triple Démisme, (Sanminzhuyi), est une doctrine politique que Sun Yat-Sen élabore les deux dernières années de sa vie politique faisant office de synthèse. Il regroupe autour d’un projet révolutionnaire, ses vues sur le nationalisme (minzuzhuyi), sur la démocratie (minquanzhuyi) et sur le bien-être du peuple (minshengzhuyi.) Par là, il justifie le choix idéologique alliant la tradition philosophique et l’expérience historique de la Chine et de l’Occident. Il constitue cela en retranscrivant les seize conférences dispensées à l’université du GuangDong.

 

Le premier principe : le nationalisme chinois ou nationalisme racial

Selon lui, c’est l’appel au nationalisme qui peut sauver la Chine (jiuguo). Il définit celui-ci avant tout comme un « nationalisme racial » (minzuzhuyi). Ce système repose sur des « forces naturelles » principales à savoir « le sang » rejoignant ainsi l’idéologie « patrilinéaire » faisant de tous les Chinois les descendants d’un empereur. Toutefois, Sun Yat-Sen élargit la notion de « race » selon les données biologiques pour aller aussi sur des facteurs socioculturels et historiques propres à créer un sentiment d’appartenance. Selon Sun, les autres forces naturelles sur lesquelles repose le nationalisme, sont le genre de vie, la langue, la religion et les coutumes. Contrairement à Lénine et Staline, Sun Yat-Sen n’inclut pas l’enracinement territorial parmi les facteurs conduisant à la formation de la nation. Le territoire est un attribut de l’Etat et du nationalisme d’Etat. Autrement dit, il intègre naturellement dans la communauté nationale, des millions d’émigrés d’Outre mer.

 

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Sun dénonce le « péril blanc » en souhaitant insuffler aux lecteurs le danger imminent. Il reprend la notion du spectre de « l’extinction raciale » (miezhong) et déclare : « Si notre population n’augmente pas […], eux (les autres peuples du monde, NDLR) qui seront la majorité […] avaleront la Chine […]. Non seulement la Chine […] sera une nation finie […] mais de plus la race chinoise aussi sera éteinte. » La tradition culturelle chinoise s’enorgueillit de sa vocation universaliste.

 

La vision démocratique chinoise

Sun ne voit pas la démocratie comme une libre ouverture à la pleine liberté individuelle. Au contraire ! Il a conscience des risques. Laisser place à une pleine autonomie sociale, un excès de liberté conduit à une anomie négligeant ainsi les intérêts communautaires. Celle-ci transforme peu à peu les patriotes en du « sable dispersé » sans cohésion ni résistance. S’il n’y a pas de conscience commune entre citoyens, le pays devient la proie facile pour l’impérialisme étranger et donc l’asservie à tous les pays étouffant la réelle liberté individuelle. Autrement dit, c’est la liberté nationale qu’il faut défendre avant tout. Il se peut que la défense de cette dernière nécessite le sacrifice de la liberté individuelle et de former un groupement solide.

La liberté des individus n’est donc pas envisagée en termes de droits de l’homme. C’est d’ailleurs ce qu’on constate aujourd’hui en Chine. Le pays a besoin avant tout d’unité et de discipline pour le renforcement national et accomplir sa libération nationale. Il déclare ainsi : « l’Europe a suivit sa voie. La Chine doit suivre la sienne. » « Le but de la révolution chinoise et celui des révolutions étrangères n’est pas le même et donc les méthodes non plus ne sont pas les mêmes.» Il faut lutter pour la liberté de la nation dont découlera la vraie liberté du peuple. Il prévient que pour se réaliser en tant que nation, la Chine a besoin d’un gouvernement fort, unifié et centralisé.

 

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Concernant l’éducation, on y décèle un optimisme confucéen. Tsui shu-chin déclare ainsi : « Même un bœuf peut apprendre à labourer un champ et un cheval à transporter des hommes. Les hommes ne seraient-ils pas capables de recevoir une formation ? » Sun Yat-Sen est réaliste, constatant le faible niveau culturel que peuvent avoir les Chinois. Il reconnait la nécessité d’une hiérarchie sociale fondée sur les différences d’aptitudes intellectuelles, et non sur l’accès à la propriété. L’égalité du point de vue social est l’égalité du point de départ ; de telle sorte qu’ensuite, chacun se forme suivant son intelligence et ses talents naturels. Il reconnait donc le principe de l’égalité mais pas de l’égalitarisme qui est nivelle par le bas. Dans cet esprit, il déclare : « Si on ne tient pas compte de l’intelligence et des talents naturels de chacun (…) le monde ne fera plus de progrès et l’humanité marchera à reculons. »

 

Le bien-être du peuple ou « démisme vital »

Sun Yat-Sen reconnait l’importance de la révolution industrielle et de l’introduction du machinisme. Mais, retenons qu’il rejette le matérialisme historique : « le matérialisme de Marx n’est pas le centre de gravitation de l’Histoire.» Sun approuve les objectifs de la révolution agraire et l’émancipation paysanne mais s’oppose à une expropriation violente donc privilégie la révolution en douceur. Il va jusqu’à constituer un programme de modernisation technique évoquant la mécanisation, l’engrais artificiel, électrification, l’assolement. Cependant son programme évoque la limitation du capital.

 

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Il assure de la nécessité de faire appel aux capitaux et aux experts étrangers. Il replace ces emprunts étrangers dans le cadre de son propre programme, au service de ses propres objectifs : « Nous allons utiliser les capitaux étrangers déjà existants pour créer le monde communiste de la future Chine. » Puis, il insiste que le développement économique passe avant tout par la reconquête de l’indépendance et de la souveraineté : « Si nous voulons que « la vie du peuple » soit susceptible de solution, il faut travailler sur la politique [cad] abolir les traités inégaux et reprendre les douanes maritimes. Alors (…) l’industrie nationale pourra naturellement se développer. » La solution est l’émancipation nationale.

Sun a émit le fait que le retour à l’ancienne moralité et à l’ancien savoir ne permet pas de reprendre le rang prééminent. Il faut apprendre des étrangers notamment la Science. Le Président compte faire en sorte que la Chine ne suive pas l’Occident mais marche de front avec lui. En d’autres termes, dès l’époque de Sun, l’homme malade de l’Asie, pose l’idée de profiter de l’expérience acquise par les autres pour s’impulser au devant d’eux. Elle profite ainsi du savoir acquis d’emblée, pour mieux les dépasser. On parle du privilège de l’arriération.

 

Le processus de mondialisation

C’est avec l’aide du triple démisme, que l’Empire du milieu, historiquement ayant une tendance à se replier sur lui-même, s’est peu à peu intégré dans le processus de mondialisation. Depuis l’éveil national, la définition de la puissance chinoise est pragmatique. L’objectif est d’atteindre vers 2025-30, ce qu’on appelle en Chine, un Etat de moyenne aisance. Il ne s’agit pas de rattraper les Américains. L’action extérieure a d’abord pour objectif de créer les conditions de cette moyenne aisance et un développement moins déséquilibré. Selon les Chinois, la puissance doit aider au développement pour accéder à une grande harmonie internationale sur les valeurs confucéennes et le nationalisme ; là où en Occident la puissance est auto-finalisée donc le sens où le but est de conserver la puissance pour en garder le statut.

Quelques lectures sur le sujet :

  • BALME Stéphanie, La tentation de la Chine : nouvelles idées reçues sur un pays en mutation, Le Cavalierbleu, Paris, 2013
  • BERGERE Marie-Claire, L’age d’or de la bourgeoisie chinoise, 1911-1937, Flammarion, Paris, 1996
  • BERGERE Marie-Claire, Sun Yat-Sen, Fayard, Paris, 1994
  • BRUNEAU Michel, L’Eurasie : Continent, empire, idéologie ou projet, CNRS Editions, 2018

 


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