Réduction des heures de cours : les écoles d’art en danger

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Les élèves et professeurs des écoles d'Art parisiens ont manifesté début décembre pour réclamer davantage d'heure de cours.

Les élèves et professeurs des écoles d'Art parisiens ont manifesté début décembre pour réclamer davantage d'heure de cours.

Les étudiants d’écoles d’art ont manifesté vendredi 4 décembre devant le rectorat de Paris, pour protester contre la réduction des heures de cours imposée par la direction. Une décision préjudiciable aux créations des étudiants. Reportage.

 

Environ 200 professeurs et étudiants d’Oliviers de Serres, de l’Ensamaa, de l’école Estienne, de Saint Quentin et de l’école Boulle se sont réunis vendredi 4 décembre, boulevard d’Indochine à Paris, en chantant et criant : « Métiers d’arts en danger ! ».

L’atmosphère est chaleureuse, mais l’inquiétude sur l’avenir plane. De nombreuses pancartes surgissent du groupe telles que : « Laissez-nous apprendre » ; « Sauvons les métiers d’arts » ; « Diplôme raboté, j’ai les Boulle » ; « École de Passion, pas école de gestion » ; « Formation standardisée, diplômes réformés ».

 

Des élèves et des professeurs soudés

Aujourd’hui ce sont les étudiants et artisans d’art qui réclament davantage d’heures d’atelier dans leurs emplois du temps, afin de mieux maîtriser les techniques. Professeurs et élèves s’alarment de ce qu’ils considèrent être le « début d’une chute vertigineuse » dans la transmission de l’artisanat.

« On vient manifester aujourd’hui pour éviter que l’on nous retire des heures d’atelier ! » témoigne Méryl, une jeune élève en 1ère année de Diplôme national des métiers d’arts et du design (DNAMDE). Après trois années au lycée de l’école Boulle en menuiserie en sièges, elle estime que « la force [de son école] est de mettre en commun le design et l’atelier, ce qui doit être le plus important ! Des écoles de design et de créations d’objets, il y en a des centaines ! Mais des écoles où l’on a la chance d’apprendre un savoir-faire unique, enseigné par des professeurs Meilleur Ouvrier de France, c’est rare ! ».

Les métiers d’art sont précieux. C’est par l’artisanat que s’est construit le patrimoine français et le rayonnement mondial de notre pays. Si, aujourd’hui, quelques écoles d’art sont uniques en France, c’est grâce à l’enseignement de ces métiers ancestraux. Des professeurs d’excellence, inscrits aussi bien dans l’univers scolaire que dans le monde du travail, partagent leurs connaissances. Sous-estimer cet enseignement est selon eux « une grave erreur ». Va-t-on laisser tomber à jamais dans l’oubli leurs savoir-faire, leurs tours de main, leurs secrets, bases de la création contemporaine ?

 

Le DNAMDE, une adaptation à la société

Il y a trois ans, le ministère de l’Éducation nationale et les directeurs d’école d’art ont imposé une réforme non-obligatoire aux écoles d’art de Paris, et dans d’autres provinces, celle du Diplôme national des métiers d’art et du design (DNAMDE). Celui-ci cherche à adapter à l’époque et aux tendances actuelles l’artisanat d’art, souvent perçu comme « ringard ». Les différents professeurs devraient prendre du temps pour enseigner aussi bien la conception contemporaine d’un objet (le « design ») que la réalisation de l’objet fait main.

Toutefois la pression économique et celle du progrès sont fortes et grignotent le temps et les méthodes traditionnelles du travail artisanal. Côté économie, les directeurs, sous les yeux sévères des recteurs, choisissent des heures à retirer afin d’avoir moins de professeurs à payer. Le choix est vite fait, puisque les directeurs d’écoles d’art sont tous des designers et souhaiteraient les réunir en une seule. Adieu donc le local et les formations particulières ! Côté progrès, et comme un rouleau compresseur, les directeurs submergent les élèves de projets d’art appliqués, d’expressions plastiques et de petit projets expérimentaux, sans prendre conscience du temps nécessaire dont les élèves ont besoin pour apprendre les bases techniques du métier.

« Il faut du temps pour apprendre, concevoir et réaliser un objet. Il ne faut pas qu’il soit uniquement bien réussi, mais qu’il soit vraiment beau et innovant ! » lance Méryl. La réduction des heures d’atelier est donc une catastrophe. « Enlever les heures d’atelier serait uniformiser et standardiser cette école d’exception ! Il n’y a que deux formations en France de menuiserie en sièges. C’est un savoir-faire unique et précieux ! » continu Théo, un autre étudiant en menuiserie en sièges.

Les élèves connaissent peu les détails de la réforme, qui est complexe et fourmille d’obstacles administratifs. Toutefois ils comprennent les enjeux et les conséquences potentielles.

« Le risque est que, sur le long terme, nous serons de moins en moins bien formés. On perdra l’authenticité des métiers d’art. Ce n’est pas seulement un savoir-faire qui va disparaître, mais un patrimoine, qu’ils touchent en nous pénalisant », explique Domitille, une élève en deuxième année d’ébénisterie. « C’est notre avenir qui est en jeu. Nous ne serons pas crédibles dans les entreprises si nous ne sommes pas capables de travailler correctement. L’école nous permet de prendre le temps de pratiquer avant de répondre rapidement aux futurs clients ».

 

Garder les heures en atelier

Les élèves et professeurs désirent garder leurs heures afin de conserver la qualité du diplôme de troisième année. Mais par manque de temps, les élèves réaliseront une « idée » de l’objet du diplôme, mais pas d’objet final…

« L’école vend sa richesse et variété d’ateliers. Cela fait rêver les étudiants à la rentrée ; et finalement on se retrouve coincé dans son atelier, à terminer au mieux sa pièce, avec le temps qu’il nous reste. En ébénisterie, la recherche, les méthodes d’utilisation, l’assemblage des pièces, le montage, le collage, ensuite le moulage, sans oublier la recherche de matières, et bien entendu la conception d’un objet innovant, demandent énormément de temps ! On souhaiterait maîtriser notre principal métier et expérimenter, s’initier aux autres ateliers de l’étage du dessous. En nous retirant le peu de temps que l’on a dans nos ateliers, nous serons complètement démotivés. On ne cherchera pas à bien faire, mais simplement à terminer ! » s’alarme Ximun, élève en ébénisterie.

Une problématique partagée également par Gaétan, élève en tapisserie :

 «J’ai deux pièces à terminer pour le partenariat avec le théâtre des Champs Elysées pour le mois de mars, plus d’autres projets avec l’atelier. Tout cela va nécessiter de la patience. Je devrai apprendre à me servir de nouvelles machines, faire la structure de la pièce, la garniture, le tissage, le tricot, le macramé… le tout avec moins d’heures d’atelier ? Il nous faudrait sélectionner les projets, au lieu de pouvoir tous les réaliser, quel dommage ! ».

Le rectorat et les directeurs restent très fermes sur le sujet ; mais les élèves et professeurs tentent de se mobiliser pour résister malgré leurs emplois du temps chargé. Une pétition a été créée à ce sujet. Elle rassemble actuellement près de 15 000 signataires.

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