Dans le Saint-Sépulcre, un édicule entoure le lieu où le corps du Christ a été déposé après sa crucifixion. ©Charles de Blondin

Lieu de la mort et de la résurrection du Christ, le Saint-Sépulcre renferme l’un des mystères de la foi chrétienne. Il est un véritable carrefour spirituel qui héberge différentes communautés cohabitant entres elles dans la vieille ville de Jérusalem. Bien que remplies d’humilité, d’héritage et de respect pour les différentes identités, les relations entre chrétiens autour du tombeau du Christ restent « viriles ».

 

« Joyeux Noël ! ». Un vieil homme juif orthodoxe vient saluer le supérieur des franciscains et lui demande de prier pour la paix et pour lui-même. Étonnante en France, la scène se passe à Jérusalem à l’intérieur même du Saint-Sépulcre, devant le tombeau du Christ. Un moment symbolique qui rappelle la complexité de la Terre Sainte, de ses communautés religieuses qui cohabitent depuis des siècles jusque dans le saint des saints.

 

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Au Saint-Sépulcre, les pèlerins sont rares en ce mois de décembre 2023. La guerre entre Israël et le Hamas a fait annuler la quasi-totalité des voyages. Seuls quelques chrétiens éthiopiens, philippins ou d’Europe de l’Est viennent se recueillir dans ce lieu symbolique. Les chrétiens occidentaux quant à eux sont absents, les diplomaties européennes déconseillant à leurs ressortissants de se rendre dans la région. Depuis Paris, seule la compagnie aérienne israélienne El Al a continué à desservir Tel-Aviv malgré la guerre. Dans le monde, seulement une petite dizaine en plus de la société nationale.

 

La pierre de l’Onction sur laquelle le corps du Christ a été lavé et enveloppé dans le Saint-Suaire fait l’objet d’une grande vénération. ©Charles de Blondin

 

Une présence depuis 8 siècles

« Le Saint-Sépulcre est un lieu d’union » aime à répéter le frère Stéphane, le supérieur des Franciscains, un ordre religieux, gardien des lieux saints depuis 800 ans. Le rôle de cette communauté est de remplir trois fonctions essentielles : habiter les lieux saints perdus après le départ des Croisés, assurer un soin pastoral pour les chrétiens locaux et accueillir les pèlerins qui arrivent du monde entier visiter la Terre Sainte. Une histoire qui commence en 1207, date à laquelle les premiers franciscains arrivent et négocient leur installation avec le sultan égyptien Malek el-Kamel.

 

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A force de persuasion, ils s’installent en 1333 au Saint-Sépulcre et sont nommés officiellement gardiens des lieux saints par le Pape Clément IV en 1342. Un lieu où cohabitent six communautés différentes : trois principales (grecs-orthodoxes, arméniens et l’ordre franciscain) et trois secondaires (coptes, syriaques et éthiopiens). « Elles sont des satellites qui gravitent autour du soleil et qui respirent tous ici le même air, celui de Dieu. C’est ici que l’humanité va pouvoir s’unir. C’est depuis Jérusalem que la chrétienté va rayonner et c’est du monde entier que les chrétiens vont revenir » précise le frère. Un lieu qui rassemble « toute la diversité du monde » et qui permet aux Chrétiens d’être le trait d’union dans cet Orient souvent complexe.

 

Un « vivre-ensemble » complexe

« Le saint-Sépulcre n’est pas un lieu de bonnes sœurs » continue le frère Stéphane en nous faisant visiter les parties privées du sanctuaire. Une complexité unique assez peu compréhensible des Chrétiens Occidentaux. Un Dieu unique mais une culture parfois radicalement différente. « En France, les catholiques ont la même culture, nourriture, histoire et langue. Ici, la seule chose que nous avons en commun, c’est Dieu ». Les relations sont donc franches, directes et assumées et aucune langue de bois n’est de mise. « C’est une cathédrale virile ! ».  Chaque communauté est fière de son héritage et l’assume pleinement. « Ce n’est pas en gommant nos différences que nous pourrons dialoguer.  C’est en allant chercher dans nos racines communes que nous nous comprenons et nous nous respectons » renchérit l’homme d’église. « Ici ; les Grecs sont très Grecs, les coptes très coptes, les latins doivent donc être très latins. Nous n’avons donc aucun scrupule à être des catholiques latins mais avec une façon de faire orientale ».

 

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La fidélité au latin et au grégorien est donc de rigueur. « Il y a une fidélité naturelle au latin, c’est notre langue commune ici car chaque frère arrive avec sa culture ». 41 nationalités sont représentées parmi les 300 frères qui œuvrent sur l’ensemble du territoire israélien et palestinien à faire vivre la chrétienté mais aussi à faire œuvre de charité auprès des autres religions. Une diversité qui donne un grégorien que le frère aime décrire comme « agricole ». « Nous n’avons pas attendus Vatican II pour l’œcuménisme. Cela fait 800 ans que nous soignons les musulmans comme les juifs ». Un ordre actif qui sait occuper le terrain. « Dans un pays oriental, l’occupation de l’espace est importante. Pour garder les lieux saints, il faut occuper, alors nous occupons et faisons dire des messes partout où cela est possible. La liturgie est une façon de défendre les lieux saints ».

 

Une carte répertorie les possessions des différentes communautés dans le Saint-Sépulcre. ©Charles de Blondin

 

Alors que le frère nous explique la façon dont les différentes communautés cohabitent dans la basilique, un prêtre arménien nous écarte pour faire passer un chariot élévateur à la sonnerie retentissante : le Saint-Sépulcre est en chantier permanent, depuis 2 000 ans à peu près. Le frère Stéphane échange des plaisanteries avec les ouvriers musulmans assis sur les pales du chariot pendant que d’autres un peu plus loin grignotent. « Voyez-vous, la religion chrétienne est incarnée, on ne peut pas s’attendre à ce que ce lieu saint ne ressemble pas au pays où il est. Jérusalem est un souk : un musulman va vendre des kippas et un juif va vendre des corans. Le Saint Sépulcre, c’est la cathédrale des souks » nous explique malicieusement le supérieur.

 

Une œuvre de conservation

Depuis huit siècles, ces gardiens de la foi, pareils à des sentinelles de l’éternité, veillent sur un « trésor historique ». Balloté par le vent du Levant, les guerres et les intempéries, les Franciscains disposent des archives depuis leur arrivée au XIIIe siècle. Elles sont un témoignage vivant de la longue histoire de la chrétienté en ces terres saintes. Depuis les premières croisades jusqu’aux temps modernes, ces documents renferment les récits des pèlerins, des missionnaires et des saints qui ont foulé ces terres sacrées et qui ont parfois consacré leur vie à la foi. « Nous avons 800 ans d’archives, de lettres et d’échanges avec le monde et avec Rome contrairement à la France qui a beaucoup perdu à la Révolution » précise le supérieur.

 

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Dans cette perspective, un musée va voir le jour pour mettre en lumière cet héritage. « Grâce aux catholiques latins, les juifs comme les musulmans pourront mieux connaître leur religion et leur civilisation ». Il est prévu qu’il contienne deux parties : une section archéologique qui a déjà été inaugurée en 2017 et permet d’immerger les visiteurs là où Jésus est né et une section historique de plus de 1 000 m² avec 23 pièces différentes et dont la recherche de financement est toujours en cours. Cette dernière section sera en deux parties : l’histoire et la mission de la Custodie franciscaine en Terre Sainte et le trésor du Saint-Sépulcre. Dans cet Orient compliqué, le tombeau du Christ demeure un symbole d’unité et d’espoir : un monde d’éternité.

 


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