Marie-France Garaud a été conseillère de Georges Pompidou et de Jacques Chirac.

Marie-France Garaud a été conseillère de Georges Pompidou et de Jacques Chirac.

Le 22 mai 2024 disparaissait Marie-France Garaud, avocate et conseillère politique. A l’heure où les Français réinvestissent la politique nationale, l’étude du parcours et de la pensée de cette femme peut nous léguer, mieux qu’une série de jugements pour le passé, une philosophie pour l’avenir.

 

Née le 06 mars 1934 à Poitiers, Marie-Françoise Quintard commença sa carrière intellectuelle, certainement malgré elle, dès sa plus tendre enfance. Encadrée strictement, mais avec amour par ses parents, Marie-Françoise découvrit jeune la joie des humanités, étudiant le latin, le grec et s’ouvrant à la pratique du piano. Elle s’engagea dans des études juridiques, une tradition familiale héritée notamment de son père, Marcel Quintard exerçant la profession d’avoué.

 

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Une fois diplômée, Marie-Françoise s’inscrivit au barreau de Poitiers afin de devenir avocate puis monta sur Paris quelques années plus tard en qualité d’attachée juridique auprès du ministère de la Marine. Pendant ce temps-là, au niveau national, « les événements d’Algérie » prirent une tournure dramatique et le général de Gaulle fut appelé. Il proposa la fondation d’une Ve République. Marie-France (surnom qui lui a été donné par ses compagnons de route durant ses études) fit partie des voix portant le « Non » à l’instauration de ce nouveau régime. Incohérence historique amusante de celle qui deviendra l’une des dernières et des plus flamboyantes gaullistes.

 

Les débuts en politique

Jean Foyer, grand gaulliste devant l’Éternel, joua en grande partie le rôle de maître à penser de Marie-France qui fut son élève durant ses études de droit, mais aussi son attachée parlementaire. Quand ce dernier devint ministre de la Justice sous Charles de Gaulle, Marie-France le suivit. Durant ces années, Marie-France se lia également avec l’avocat aux Conseils, Louis Garaud, et se présenta au grand public sous son surnom d’étudiante (Marie-France) et sous son nom de femme mariée : Marie-France Garaud.

Par la suite, elle subit l’entretien d’embauche de Pierre Juillet, conseiller du Premier ministre Georges Pompidou, afin de se tenir à ses côtés aux dernières marches du pouvoir. Le « couple » Garaud-Juillet contempla durant des décennies et sous plusieurs présidences les jeux de pouvoir dont ils prirent une large part. Leur premier coup fut de préparer l’élection présidentielle de 1969 et de faire élire Georges Pompidou en qualité de président de la République. Conseillers du nouveau président, ces derniers devinrent de plus en plus influents.

 

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En 1974, ils participèrent implicitement à l’élection de Valéry Giscard (dit d’Estaing depuis que son père ait obtenu de rajouter le nom d’un aïeul à son patronyme en 1922) en réduisant à peau de chagrin les chances de Jacques Chaban-Delmas d’accéder à la magistrature suprême. Ils parvinrent ensuite à faire nommer Jacques Chirac, leur poulain, Premier ministre sous Valéry Giscard d’Estaing puis à le faire élire maire de Paris. Ce dernier remercia ses deux Pygmalion, ce qui amusa Pierre Juillet et donna naissance à l’un de ses fameux traits d’esprit : « C’est bien la première fois qu’on voit un cheval remercier son jockey ».

 

Candidate à l’élection présidentielle

 

Harassée par les faux pas de Jacques Chirac et voyant poindre un enjeu à la mesure de ses talents, Marie-France Garaud se présenta à l’élection présidentielle de 1981 avec trois objectifs simples : promouvoir l’achat français, redonner vie aux régions et investir sur le long terme vers les pays en développement (allocution du 17 avril 1981). Déjà à cette époque, elle regrettait « que les grands moyens d’information s’attachent davantage, lorsqu’ils suivent ces campagnes, aux questions de politique-politicienne un peu superficielles qu’à la réalité de tous les jours ».

Le 24 avril 1981, lors de la dernière allocution des candidats avant le premier tour de l’élection présidentielle, elle fit remarquer que « la France doit être un pays libre et se doit d’être aussi un pays réconcilié avec lui-même ». Notant l’actuelle division de la France, notamment entre « ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, ceux qui administrent et ceux qui sont administrés », Marie-France Garaud préconisa l’établissement d’un « gouvernement […] d’hommes et de femmes qui sachent ce que c’est que le risque, la responsabilité et la difficulté ».

 

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Le 26 avril 1981, malgré un programme prophétique, Marie-France Garaud termina avant-dernière au premier tour de l’élection avec l’obtention de 1,33 % des suffrages exprimés. La défaite ne devant pas interférer face aux intérêts de la France, Marie-France est amenée à se positionner entre la réélection de Valéry Giscard d’Estaing et l’élection du socialiste, François Mitterrand. Elle préférera ne pas choisir et voter blanc, constatant le « passif » trop libéral de l’ancien président. Le 10 mai, François Mitterrand fut élu.

 

Le combat contre l’Union européenne

Marie-France Garaud se mit en retrait (et coupa les ponts avec Jacques Chirac) et se dirigea vers l’étude des relations internationales en fondant l’Institut international de géopolitique porteur de la revue Géopolitique. Un temps, elle pensa à se trouver un nouveau poulain en la personne d’Yves Montand, mais ce dernier préféra rester à sa place.

Après de nouvelles élections infructueuses (législatives de 1986), elle s’engagea dans le combat qui marquera le reste de sa vie, celui de mettre un terme à la construction européenne. Elle fut de ces voix qui appelèrent au « Non » en 1992 lors du référendum portant sur le Traité de Maastricht et de 2005 sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe. En 1992, elle dit comprendre que les « fédéralistes piégeurs soient impatients » mais souligna que « Les peuples n’aiment pas l’impatience, les peuples aiment comprendre » (L’Heure de vérité, Antenne 2, 23 août 1992).

 

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Dans son ouvrage « Impostures politiques », Marie-France Garaud estimait qu’« il n’est pas honorable en démocratie, de ne pas éclairer les citoyens ». Elle notait que pour nous autres Français, l’Europe « n’a jamais été autre qu’un élargissement, une extension de l’État, née de la conquête [alors que] pour l’Allemagne, l’Europe constitue au contraire la voie quasi-exclusive par laquelle elle peut, pacifiquement, se constituer un État ». Cette perte de souveraineté ne pouvait que faire glisser la France « de l’État à la société, de la souveraineté à l’identité et du gouvernement à la gestion ».

 

Défenseur de la Constitution

Plus que la crise européenne, Marie-France Garaud s’élevait en fervente défenseur de la Constitution de 1958. Ses leçons demeurent toujours d’actualité à l’heure où tous la proclament et où tous la violent (aussi bien la Présidence, que le Parlement et les juridictions). Elle rappelait ainsi dans son livre « La fête des fous, qui a tué la Vème République ? », le principe selon lequel, dans la Ve République, le Premier ministre « tient ses pouvoirs du président de la République et de lui seul » et que « le couple bicéphale de l’exécutif » ne peut pas « être divisé en lui-même ».

Les cohabitations factuelles (Mitterrand/Chirac ; Mitterrand/Balladur ; Chirac/Jospin) aussi bien que fantasmées (Macron/Castets ; Macron/Bardella ; …) ne sont en effet, en réalité, que des violations de l’esprit et de la lettre de la Constitution instituées en pratique. La vocation de la cohabitation n’étant en réalité que le maintien au pouvoir d’un Président vaincu aux élections ayant le devoir moral et spirituellement juridique de se démettre (à l’instar du Général de Gaulle en 1969).

Autre actualité de cette pensée éternelle : la description de la volonté de certains dirigeants d’ériger « une utopie pour distraire du néant ». Néant d’une France qui s’effondre sous les assauts utopiques d’une France qui réussirait, mais qui en réalité stagne dans l’immobilisme le plus morbide. Si la « Ve République est morte », c’est autant le fait d’un peuple jouisseur « lassé de la grandeur » qu’un « souffle [de] gaullisme [n’] emportait plus sur le goût du bonheur » que de politiciens « instaura[nt] la règle du mensonge ».

 

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Assaillis par l’argent facile, l’entrisme fédéraliste et la déculturation, les gouvernants se trouvaient face à une Constitution construite, non pas pour le passé, mais pour des hommes et des femmes capables de porter le poids de l’Histoire sur leurs épaules. Marie-France Garaud notait à ce propos que « les responsabilités dont » notre Constitution « chargeait les hommes élus pour gouverner se sont révélés trop écrasantes pour leurs aptitudes ».

 

Une volonté de réconciliation

Mais le véritable appel de Marie-France Garaud, au travers de son œuvre politique, fut un appel à la réconciliation des Français et à l’action au service de la France. Réconciliation des Français entre eux autant dans une fraternité des vivants que dans une communion avec les morts. Nous ne nous sommes, en effet selon Marie-France Garaud, pas encore « guéris de cette fracture [que fut l’Occupation] car on n’en guérit pas seulement par la repentance ». « Pourquoi serions-nous les seuls au monde à ne pas vouloir accepter à la fois les heures sombres et les temps de gloire qui ont jalonné notre passé et construit la France que nous aimons ? » interpellait-elle.

Animée par les « ferments de la dispersion qu’elle porte en elle », la France doit se ressaisir afin de porter un projet d’avenir pour rendre gloire à ses disparus, pour accueillir ses nouveaux-nés et pour que vivent et survivent les vivants. Ce projet passera nécessairement par une responsabilisation des Français et de leurs gouvernants. Aucun Homme Providentiel ne naît sans société providentielle. La France doit reformer un peuple uni ayant pour finalité la grandeur de la France et de ses desseins. De Gaulle n’aurait pas été premier homme de France sans la Résistance pas plus que Napoléon sans ses armées formées par son peuple. Si le Général de Gaulle affirmait que « si les partis reviennent, tout ce qu[il avait] fait sera[it] détruit », c’est bien parce que la division des Français fait la division de la France. Tous les grands gouvernements du pays furent une union nationale, un seul parti ne peut pas les unir.

 

L’importance de la souveraineté populaire

L’action ensuite, car toute union non-créatrice n’est que projet stérile. Nous entendons encore trop dire aujourd’hui que la France ne pourrait rien. La France serait corsetée par un État de droit intangible et inaltérable car sacré. Ce qui est sacré dans l’État de droit ce ne sont pas les normes qui y sont contenues, mais la procédure de modification de ces dernières. L’État de droit protège la démocratie en instituant des mécanismes permettant de modifier la portée d’une norme sans avoir recours à un coup de force. La modification de ces normes, si la procédure est respectée, n’est pas un coup de force.

La modification peut être bonne ou mauvaise, mais si c’est la volonté du peuple, c’est la volonté de la Constitution. Michel Debré, rédacteur de la Constitution de 1958, rappelait qu’en France « La seule souveraineté, c’est le peuple ». Aucun pouvoir supranational, aucune juridiction, même le Conseil constitutionnel, ne peuvent se prévaloir d’une supériorité face au peuple. Aucune institution ne peut empêcher le peuple d’agir et donc, finalement, aucun gouvernement ne peut avoir les poings liés.

 

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Tout est affaire de volonté et de priorité. Le dilemme des gouvernants n’est pas une question de pouvoir, mais de vouloir. À eux de décider jusqu’à quand ces derniers souhaitent agir contre la volonté du peuple et au peuple de décider jusqu’à quand il va se laisser faire. Il manque, en effet, aux Français, gouvernants comme gouvernés, pour pouvoir vivre comme ils le souhaitent « seulement la « volonté de vouloir » ».

Cette pensée et cette œuvre politique, Marie-France Garaud en fut la dépositaire jusqu’à sa mort en 2024. À nous de nous les approprier comme elle nous l’invitait déjà en 1981 avant sa défaite au premier tour de l’élection présidentielle : « ceux qui mettront un bulletin dans l’urne à mon nom le feront pour ces idées. Je souhaite qu’ils soient nombreux mais s’ils ne le sont pas ils le deviendront, autour de moi ou sans moi, cela n’a guère d’importance, mais c’est autour d’eux et autour de ces idées que la France un jour se reconstruira ».

 


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