Sorbonne Université Abou Dabi est une université créée en 2006 par un accord de coopération entre la France et les Émirats arabes unis. ©Sorbonne Université

L’enseignement supérieur constitue désormais un marché international. La mobilité des étudiants à travers le monde incite les établissements d’enseignement à attirer des étudiants étrangers, parfois par des formations spécifiques, ou inversement à projeter leurs offres de formation à l’étranger. Dans le second cas le défi est d’une tout autre ampleur. L’Amérique, l’Asie, le Proche Orient sont des régions cibles privilégiées avec des fortunes diverses liées notamment à la langue et à la culture locale. Dans le golfe arabo-persique, l’ouverture de la Sorbonne à Abou Dabi a suscité une curiosité narquoise, des espoirs, des imitations puis une certaine concurrence.

 

A l’échelon fédéral des Émirats arabes unis (EAU), existaient plusieurs institutions. L’Université des EAU avait été créée sitôt après l’indépendance, en 1976, à Al Ain, couvrant les humanités et sciences sociales, l’éducation, les sciences administratives et politiques, le droit et la Shari’ah, l’agriculture et la santé. Elle a été suivie par les Higher Colleges of Technology en 1988 pour satisfaire des besoins de productivité, d’autonomie et de formation technique, puis par l’université Zayed (1998) et celle d’Al Ain en 2004, de nature pluridisciplinaire.

A côté de cet embryon d’enseignement supérieur, des établissements privés apparaissent sous l’impulsion d’entreprises, comme l’université Khalifa de sciences et technologie dont la création en 1989 est liée au développement des télécommunications puis à l’industrie pétrolière et à laquelle s’est ajoutée une branche recherche en 2007 (KUSTAR) ; par la suite l’Institut Masdar de recherche et de formation dans le secteur des énergies nouvelles et du développement durable y a été associé. Un décret de 2017 fusionne l’université et les centres de recherches Masdar et l’institut du pétrole.

 

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A l’échelon de chaque émirat, des établissements d’enseignement supérieur sont établis ; ils sont tantôt publics (Ajman, Fujeirah, Dubai, Charjah…), tantôt privés comme l’American University of Sharjah fondée par l’émir Cheikh Sultan bin Mohammed al Qasimi ou l’université Al Ghurair de Dubaï du nom de la famille qui l’a créée en 1999 et qui a fermé ses portes en octobre 2022. Certains établissements sont pluridisciplinaires et proposent des formations générales qui se spécialisent à l’échelon du master, d’autres sont spécifiques et liées à une activité locale (Emirates Aviation university, Emirates Academy of Hospitality à Dubaï, Emirates Institute for Banking and Financial Studies à Charjah). Cette trentaine d’universités nationales traduit la volonté des autorités de conduire le développement du pays et de dégager une élite nationale destinée à se substituer aux étrangers qui participent à l’encadrement du jeune État.

 

Un programme ambitieux

L’ambitieux programme de développement et d’internationalisation de l’enseignement supérieur s’est donc fait jour très tôt aux Émirats. Néanmoins, la place des expatriés était et demeure dominante dans les secteurs de pointe du développement économique, technique, administratif et de l’éducation. Les nationaux représentent moins de 12% d’une population d’environ dix millions d’habitants. Or, il importe encore de former les cadres nationaux appelés à intervenir dans les différents domaines visés par les plans stratégiques de 2030, 2050 ou pour la 4e révolution industrielle (Mohamed bin Zayed university of artificial intelligence), et de créer des centres de recherche.

Dans ce contexte, l’entrée d’universités étrangères sur le marché de l’enseignement supérieur aux Émirats est encouragée. Sans doute est-elle soumise à des contraintes administratives notamment d’accréditation du ministère de l’Éducation. Elle doit s’inscrire aussi dans la perspective du développement durable des Émirats tout en assurant l’accès aux humanités, à une formation juridique adaptée et aux techniques avancées de la finance. A cette fin, a été établi The University Leadership Council présenté comme un hub chargé d’identifier les entreprises ou les projets innovants et de coordonner les principaux intéressés avec le monde académique pour renforcer les capacités de la jeunesse nationale (BUNYAN initiative for the capacity building of the youth).

 

Un intérêt stratégique

L’arrivée de ces universités étrangères aux Émirats peut servir leurs intérêts financiers, leurs ambitions de développement international (American University in the Emirates 2006, University of Wollongong 1993), ou une stratégie politique. Elles résultent parfois de l’amitié des princes (Université Mohammed V). La création de Paris Sorbonne Abou Dhabi en 2006, à l’initiative inspirée du Président Jean-Robert Pitte et sous le patronage du Prince héritier Cheikh Mohammed bin Zayed al Nahyan, a un sens diplomatique ; elle s’inscrit aussi dans la tendance des universités françaises à s’internationaliser. Mais en raison d’une tradition anglo-saxonne plus ancienne dans la région et pour des raisons culturelles et linguistiques, la mission est périlleuse.

 

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Pour les EAU, il s’agit de la volonté d’offrir aux élites de l’Émirat, de la Fédération et du Golfe, une option entre la formation anglo-saxonne traditionnelle dans cette région, orientée vers la technique, la gestion, les affaires, et une formation française classique, ouvrant la voie à l’esprit critique, à l’éducation des femmes et permettant aux Émirats d’affirmer leur indépendance face aux alliances traditionnelles, tout en se proclamant « un pont entre les civilisations ».

Pour la France, l’ouverture de la seule université francophone du Golfe arabique favorise à terme un rayonnement culturel et politique. Elle complète le projet de construction d’un ensemble de musées dont le Louvre. Elle est étroitement liée aux autres projets dont la Sorbonne est le symbole et son succès dans l’esprit des autorités de l’État hôte, la condition de la poursuite des autres projets : militaire, contrats, investissements, art et culture…

 

Le rapprochement avec la France

Fondée par un accord de partenariat entre l’Université Paris Sorbonne et l’Émirat d’Abou Dabi, et par une loi de l’Émirat, l’université Paris Sorbonne Abou Dhabi (PSUAD) est un établissement émirati, dont le campus définitif est installé en 2009 sur l’île de Reem. Aussitôt, il est apparu que les programmes ne correspondaient pas à l’attente des Émiratis. Il fallut compléter le projet par une formation juridique et économique confiée en 2007 à la Faculté de droit de l’université Paris Descartes aux termes d’une convention particulière entre les deux universités parisiennes. Cette dernière, au départ simple prestataire de services est devenue le premier département académique de l’université par le nombre d’étudiants. Elle a contribué largement à l’implantation de l’université dans la région, par le succès de ses formations de troisième cycle et en assurant la majeure partie des ressources financières propres de l’établissement, dans des circonstances difficiles.

Celles-là tenaient à la situation régionale dominée par les intérêts et la présence enracinée des pays anglo-saxons, aux différences culturelles profondes, à l’absence de tradition linguistique française, à l’engagement incertain du partenaire français, dès 2008 lors de la succession de Jean-Robert Pitte. Dans ces circonstances, la convention a été renouvelée en 2016 mais elle a été amendée de telle sorte que l’établissement n’est plus Paris Sorbonne mais bien la Sorbonne d’Abu Dhabi. A la faveur des évolutions de l’université en France, l’établissement s’est affirmé comme une institution nationale dans sa direction et son administration et elle s’est élargie aux formations scientifiques en mathématiques en physique.

Néanmoins, la concurrence a été stimulée. Du côté français, outre quelques tentatives avortées, l’université Paris 2 Panthéon Assas poursuit son programme d’internationalisation en ouvrant, en 2018, une nouvelle antenne de son École internationale de droit, après l’île Maurice et Singapour. Son projet s’attache à répondre aux besoins de la région avec une offre plus sélective, ouverte aux étudiants diplômés en droit, relations internationales et diplomatie. Aux termes d’une convention avec la Dubaï International Financial Centre Authority, elle propose une formation au droit international des affaires au niveau du master sanctionnée par un LLM.

 

Les universités anglo-saxonnes

New York University s’est établie sur de toutes autres bases que les universités françaises. Avec efficacité, détermination et unité d’action elle s’est imposée par son sens de l’adaptation, la diversité de ses actions culturelles et sa volonté d’ancrage dans la société locale, n’ouvrant ses premiers cours qu’en 2010, trois ans après son arrivée. Les établissements étrangers se sont multipliés, anglais, américains, australiens, canadiens avec, parfois, des replis obligés telle que Georges Mason University ouverte en 2005, fermant en 2009 mais dont le campus est repris par le Cheikh Saud bin Saqr el Qasimi pour constituer l’American University Ras al Khaima.

Le marché est étroit : 295 000 étudiants inscrits avec un taux de défection important, dont 242 000 en licence, 27 420 en master. Les thèses entreprises visent davantage le titre de docteur que l’ébauche d’un travail de recherche à long terme. La connaissance des langues étrangères, notamment du Français est approximative, alors même que les Émirats sont membre associé de l’organisation internationale de la francophonie. Ce fait paradoxal et l’intérêt porté par les cheikhs à la présence d’universités étrangères aux Émirats dénotent combien l’enseignement supérieur participe désormais de la diplomatie culturelle des États.

 


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