Éric Denécé est spécialiste en intelligence économique

Éric Denécé est spécialiste en intelligence économique

Éric Denécé, ancien analyste du renseignement français, docteur en Science Politique, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et auteur de nombreux ouvrages sur les questions de sécurité. Chroniqueur pour Le Diplomate, il analyse la nouvelle guerre entre le Hamas et Israël et ses conséquences pour le Moyen-Orient. Entretien.

 

Angélique BOUCHARD : En tant qu’ancien officier du renseignement français, comment appréciez-vous la gravité des évènements ayant lieu en Israël ? Y a-t-il eu un précédent ?

Eric DENÉCÉ : La surprise a été en effet totale : incursions sur le territoire israélien simultanément via 22 points d’entrée, franchissement de la barrière de sécurité réputée « infranchissable » (par souterrains ou destruction), pénétration par mer et par air (paramoteurs, ULM), tirs intensifs de drones et de milliers de roquettes… Elle a eu lieu un matin de Shabbat, alors que le « front » de Gaza était dégarni car de nombreuses unités avaient été transférées pour assurer la sécurité en Cisjordanie. C’est indéniablement un choc majeur pour la société israélienne et les forces de sécurité. Il est tout à fait approprié de parler d’un « 11 septembre puissance 10 », car en proportion de sa population, cette agression criminelle du Hamas a fait quinze fois plus de victimes en Israël qu’aux États-Unis. Ce seul chiffre laisse présager de la réaction sans pitié de l’État hébreu.

Avec plus de 1 400 morts, 5 500 blessés et 200 otages, Israël enregistre le bilan humain le plus lourd depuis sa première guerre contre les Arabes (1948 : 4 000 soldats et 2 400 civils tués en dix mois). Tous les autres conflits de l’État hébreu ont fait moins de victimes, surtout parmi les civils (1956, 1967, 1973, 1982, 2006…). De plus, pendant plus de 48 h, les combats se sont déroulés sur le sol israélien et surtout plus d’une centaine de civils et de militaires a été prise en otage par le Hamas et emmenés à Gaza. Enfin, le symbole est fort : cette attaque a eu lieu jour pour jour 50 ans après l’offensive arabe du Yom Kippour. Rappelons aussi qu’Israël a fêté en juin dernier le 75e anniversaire de sa création.

 

A.B : Comment expliquer le véritable fiasco des services de sécurité israéliens, pourtant réputés comme faisant partie des meilleurs du monde ?

E.D : C’est en effet assez incroyable compte tenu de l’efficacité habituelle des services de sécurité de l’État hébreu et des technologies de surveillance dont ils disposent. D’autant que l’organisation terroriste palestinienne préparait son coup de longue date (vraisemblablement depuis le dernier conflit de 2021) car une telle opération nécessite planification, entrainement, préparation des moyens, coordination des actions, etc. Cela témoigne d’un contrôle du secret et d’une amélioration très significative du professionnalisme des Brigades Ezzedine al-Qassam, l’aile armée du Hamas.

 

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Mais il faut se méfier de l’explication facile d’une faillite du renseignement. Les services sont loin d’être les seuls responsables. Il y a mon sens trois raisons à cet échec. La première est la manœuvre de déception conduite par le Hamas depuis deux ans. L’organisation terroriste a d’abord fait « profil bas », afin de laisser croire aux Israéliens qu’elle entamait une évolution comparable à celle qu’a connu l’OLP de Yasser Arafat laquelle, après avoir préconisé la destruction de l’Etat hébreu, a fini par négocier avec Tel Aviv. Parallèlement, le Hamas a transmis aux Israéliens des renseignements sur le Djihad islamique – autre mouvement terroriste opérant depuis Gaza – afin de les aider à l’éliminer, car il le considère comme un gêneur. Par ce biais, ils ont endormi les Israéliens leur faisant croire à un changement de stratégie. En conséquence, une nouvelle perception s’est ainsi « installée » dans l’esprit des hommes du renseignement, des militaires et des politiques.

Cette tromperie magistrale s’est accompagnée d’une dissimulation très efficace de ses intentions réelles et de la préparation de l’opération de début octobre. Le Hamas, se sachant étroitement surveillé par les services israéliens qu’il connait bien, est parvenu à tromper leur vigilance. Il n’a pas diminué ni accru le volume de ses communications, ce qui aurait été un indicateur d’alerte majeur pour l’Unité 8200 chargée de de la surveillance électronique. De même, il est parvenu à donner l’impression qu’il n’y avait pas non plus de modification de ses activités opérationnelles classiques (recrutement, entrainement, réunions, fabrication et achats d’armement, etc.). Cela signifie donc que toutes les actions de préparation de l’attaque d’octobre – notamment l’entraînement au parapente ou aux opérations amphibies – ont été conduites dans le secret absolu et n’ont jamais été détectées par le renseignement israélien. Enfin, il convient d’ajouter que maintenir le secret a été rendu possible par l’extrême paranoïa du Hamas et la cruelle efficacité de son service de sécurité qui n’hésite à exécuter tout membre du mouvement vaguement soupçonné de trahison ou de négligence…

La seconde explication, directement liée à la précédente, est celle de l’erreur d’évaluation de la menace par les services israéliens, pourtant nombreux à surveiller le Hamas. Rappelons que Gaza fait l’objet d’une quadruple surveillance de la part du Shin Beth (service de sécurité intérieure), d’Aman (renseignement militaire dont dépend l’unité 8200) et du Magav (police des frontières). En complément, le Mossad (renseignement extérieur) suit les activités du Hamas à l’étranger. A cela, il convient d’ajouter les renseignements que les services américains (NSA, CIA) apportent à leur allié israélien. Toutes ces agences sont donc passées « à travers » !

Si Israël excelle en matière de renseignement humain et a probablement recruté de nombreux agents au sein de l’organisation terroriste, il lui est devenu plus difficile de communiquer avec ses agents ou de mener des opérations dans ce territoire hautement hostile en raison de « l’enfermement » de Gaza auquel a procédé l’État hébreu. En conséquence, le renseignement israélien se repose essentiellement aujourd’hui sur le renseignement technique. L’unité 8200 a ainsi dépensé des milliards de dollars pour mettre au point des technologies qui collectent toutes les données numériques provenant de Gaza (appels téléphoniques, emails, SMS, etc.), qui est l’une des zones les plus surveillées et photographiée de la planète (satellites, drones, caméras dissimulées…).

 

A.B : Il ne s’agit donc pas totalement d’un problème de collecte du renseignement. De nombreuses sources disent que l’information selon laquelle une action se préparait circulait sur certains médias arabes et que les services de sécurité égyptien auraient prévenus leurs homologues israéliens. Comment donc cette opération a pu échapper à la surveillance des services israéliens ?

E.D : Parce qu’il s’agit autant d’un problème d’analyse que de collecte. En effet, la quantité de données recueillies n’est pas exploitable par les analystes. Pour les aider à digérer cette masse d’informations, Israël a développé une énorme capacité d’intelligence artificielle qui facilite leur travail… mais ces systèmes de traitement et d’analyse automatique ont également été trompés par la stratégie du Hamas.La veille de l’attaque, les services israéliens ont bien détecté des signes d’activité anormale à Gaza, mais ils n’ont pas su les évaluer à leur juste valeur. Ils ont vu que le Hamas préparait quelque chose, mais ont hésité entre plusieurs analyses : entraînement poussé… opération mineure… action qui pourrait ne pas avoir lieu… action afin d’obtenir plus de fonds de la part du Qatar, etc.

 

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Le chef d’état-major de Tsahal, le directeur du Shin Bet et le patron d’Aman auraient participé aux discussions pour essayer de déterminer si l’activité irrégulière observée était un exercice du Hamas ou s’il s’agissait de la préparation d’une attaque. Ils en ont conclu qu’il n’y avait alors pas de signes d’une menace majeure imminente. En conséquence, ils ont décidé de ne pas placer les forces de sécurité en alerte face à Gaza un jour de shabbat et n’ont pris que des mesures minimales en attendant de recueillir davantage de renseignements. Ainsi, seules deux unités spéciales antiterroristes – du Shin Beth et de la police – ont été envoyées sur place.

Pour ce qui est des alertes transmises par les alliés, il convient de reconnaitre qu’il n’y avait rien de sérieux. Certes les Égyptiens ont tiré la sonnette d’alarme. Mais, comme l’explique Alain Chouet, ancien directeur du contre-terrorisme à la DGSE, « le problème est qu’ils la tirent tous les quinze jours sans jamais donner la moindre indication opérationnelle qui permettrait de réagir en conséquence (…). S’ils font cela, c’est en grande partie pour s’exonérer du fait que leur frontière avec Gaza est une vraie passoire (…). C’est par le poste de Refah et les tunnels environnant que pénètrent à Gaza les armes, matériels, fonds, conseillers techniques expédiés à l’intention du Hamas par l’Iran, la Turquie, le Qatar et divers généreux donateurs d’Arabie ».

Par ailleurs, le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, s’exprimant à l’Atlantic Festival une semaine avant les attaques du Hamas, avait déclaré « la région du Moyen-Orient est plus calme aujourd’hui qu’elle ne l’a été depuis deux décennies », ajoutant que « le temps que je dois consacrer aux crises et aux conflits au Moyen-Orient aujourd’hui, par rapport à tous mes prédécesseurs depuis le 11 septembre 2001, est considérablement réduit ».

 

A.B : Y a-t-il eu aussi une négligence politique ? Quelles sont les responsabilités du Premier ministre Netanyahu ?

E.D : Elles sont écrasantes et c’est là la troisième explication. Le bureau du Premier ministre a officiellement communiqué sur le fait que ce dernier n’avait pas été informé des discussions des responsables sécuritaires et que la première fois qu’il a reçu une information concrète, c’est lorsque le Hamas a commencé à tirer des roquettes et des mortiers sur les villages israéliens situés près de la frontière. Cela est possible. Mais il convient de rappeler que depuis près d’un an la société israélienne est profondément fracturée en raison de la réforme de la Justice que tente d’imposer Netanyahu, poursuivi pour corruption. Cela a donné lieu à la naissance d’un mouvement civique sans précédent qui a agrégé des millions de citoyens, y compris des militaires et des membres des services de sécurité. Les chefs de Tsahal ont plusieurs fois alerté le Premier ministre en lui disant que ce qu’il faisait était en train d’affaiblir la sécurité du pays, qu’il y avait un nombre sans précédent de d’officiers et de soldats qui refusaient de servir un régime qui à leurs yeux bafouait les principes démocratiques. Mais Netanyahu n’en a pas tenu compte.

Plus grave, en s’alliant à des partis extrémistes ultra-orthodoxes, il a laissé se développer les implantations illégales de colons juifs en Cisjordanie. Ainsi, la veille de l’offensive du Hamas, plusieurs bataillons généralement stationnés à proximité de Gaza ont été réquisitionnés pour assurer la sécurité de nouvelles colonies de Cisjordanie à l’occasion de la fête juive de Sukot. Ainsi, la frontière de Gaza s’est trouvée dégarnie lors de l’offensive du Hamas et il a fallu plusieurs heures avant de pouvoir renvoyer des unités combattre les terroristes.

 

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Surtout, il convient de rappeler quelle a été la stratégie de Netanyahou – et d’une partie des chefs militaires. Depuis plusieurs années, il a délibérément choisi de renforcer le Hamas pour accroître la division entre les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Netanyahou et son entourage avaient aussi la conviction que le Hamas était désormais dissuadé de lancer une opération d’ampleur en raison de la riposte de Tsahal en 2021. Ils croyaient le contrôler et ont autorisé le Qatar à lui verser des centaines de millions de dollars sensés servir au développement de Gaza et non à la lutte armée… Enfin, n’oublions jamais qu’au début des années 2000, ce sont Israël et les Etats-Unis qui ont favorisé la montée en puissance du Hamas, ce qui lui a permis de remporter les élections de 2006 à Gaza. Cette stratégie d’apprenti-sorcier a eu les effets que l’on voit. Bientôt viendra l’heure de rendre des comptes…

 

A.B : Quel était l’intérêt du Hamas d’effectuer une telle opération ? A-t-il agi seul et sans soutien ?

E.D : Depuis deux ans, le Hamas a probablement eu le sentiment qu’il perdait de l’importance aux yeux des autres acteurs de la crise israélo-palestinienne. D’ailleurs, le soutien politique que lui accordaient le Qatar et la Turquie commençait à se réduire. Même Israël semblait le prendre moins au sérieux que jadis… Aussi, cette opération a pu avoir pour but – entre autres – de redorer son blason aux yeux du monde arabe, et de montrer qu’il continuait la lutte, à la différence de l’Autorité palestinienne « corrompue » qui collabore avec Israël.

Un autre effet probable de l’organisation terroriste a été de se livrer délibérément au ciblage des civils afin de faire prendre conscience à la population israélienne de sa vulnérabilité, de jeter le discrédit sur l’équipe Netanyahou, incapable d’assurer la sécurité du pays, et de provoquer une réaction militaire disproportionnée d’Israël conduisant le monde à arabe à se liguer contre lui. Ou peut-être le Hamas espère-t-il qu’Israël va se trouver paralysé, dans l’incapacité de riposter en raison des otages.

Mais le Hamas a fait à mon sens un mauvais calcul. L’ampleur des actes de cruauté et le nombre des victimes ne va pas anesthésier les Israéliens. Face à ces événements, la société s’est déjà ressoudée et va réagir. La présence d’otages pourrait ne pas jouer le rôle dissuasif espéré. La « victoire » tactique du Hamas, va très rapidement se transformer en une défaite stratégique conduisant à la disparition du mouvement.

Quant au soutien dont a bénéficié l’organisation terroriste, en plus du Qatar et de la Turquie, l’Iran a très probablement joué un rôle significatif, même si nous ne disposons pas encore d’informations très précises à ce sujet. Hossein Kanani Moghaddam, un ancien commandant du corps des Gardiens de la révolution islamique, a déclaré que Téhéran avait soutenu le groupe islamiste palestinien en lui fournissant les moyens (technologie, fonds) qui l’avaient aidé à construire des missiles et des drones. De plus, la Force Al-Qods – le service action des pasdaran – aurait entraîné les commandos du Hamas et son service de sécurité. Toutefois, rien ne permet de dire que l’Iran a ordonné et piloté l’attaque ; il a simplement donné son aval au Hamas et l’a laissé agir à sa guise. Il convient enfin de noter que Téhéran utilise le Hamas comme un proxy dans sa lutte contre Israël mais qu’il n’a jamais eu pleinement confiance dans ce mouvement. Sa disparition probable ne sera donc pas une perte pour lui.

 

A.B : Comment est en train de réagir l’État hébreu et quelles peuvent être les suites de sa stratégie, notamment en prenant en compte un élément nouveau, la centaine d’otages israéliens présents aujourd’hui à Gaza ?

E.D : Il est clair, ainsi que nous le voyons depuis une semaine, qu’Israël va riposter sans état d’âme. Le nombre de victimes collatérales civiles à Gaza en témoigne déjà. La mobilisation des réservistes aussi (360 000 hommes en sus des effectifs permanents de Tashal). La question qui se pose est de savoir jusqu’où les opérations vont aller ? Destruction complète de Gaza ? Offensive terrestre ? Que va faire Tsahal en Cisjordanie ? Le risque est évidemment une montée aux extrêmes qui pousseraient d’autres acteurs, notamment le Hezbollah, à réagir, estimant soit qu’une « ligne rouge » a été franchie, soit afin d’exploiter la situation pour essayer d’affaiblir davantage Israël. Ce qui est sûr, c’est que la détermination israélienne est totale et on peut le comprendre. Il existe au sein de la société un large consensus pour une riposte de grande envergure.

La question des otages est indéniablement extrêmement sensible et douloureuse pour l’Etat hébreu. Mais paradoxalement, compte tenu de l’ampleur des crimes commis et de l’électrochoc subi par le pays, celle-ci pourrait se révéler moins déterminante que par le passé.

 

A.B : Quelles répercussions régionales et internationales peuvent sortir de ce conflit en cours ? Comment réagissent les grandes puissances comme la Chine et la Russie devant ce nouvel embrasement et peut-on craindre à une intervention d’Israël (soutenue par les Etats-Unis) sur l’Iran ?

E.D : Nous sommes aujourd’hui confrontés à une « tectonique » géopolitique très complexe. La principale inconnue est le degré de violence de la riposte de Tsahal que les acteurs régionaux et l’opinion internationale vont accepter. On observe que pour le moment le Hezbollah libanais ne fait que le minimum pour manifester son soutien à l’action du Hamas. Certes, peu à peu la tension monte. Espérons que cela n’aille pas plus loin pour le moment. L’attitude future du mouvement chiite libanais dépendra de l’ampleur de la riposte israélienne à Gaza et des directives de l’Iran.

 

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Ce dernier peut se réjouir du fait que l’attaque du Hamas et la réaction de la rue arabe ait permis de torpiller l’accord de paix israélo-saoudien et que les livraisons d’armes de Tel Aviv à l’Azerbaïdjan, avec qui les tensions sont très vives, vont très probablement diminuer. Mais Téhéran se trouve sous une menace majeure israélo-américaine : s’il décide d’activer le Hezbollah ou d’entrer lui-même dans le conflit, les Etats-Unis interviendront aussitôt, ciblant Téhéran jusque son territoire. Il n’est même pas sûr que les Iraniens puissent lancer une attaque contre le Nakichevan azéri au cas où Bakou déciderait d’envahir le sud de l’Arménie. De plus, la Turquie ne resterait probablement pas neutre dans ce conflit. La situation n’est donc pas favorable pour l’Arménie, menacée d’une nouvelle agression de l’Azerbaïdjan. Ce conflit et l’épuration ethnique qui l’accompagne sont en train de passer au second plan de l’intérêt des politiques et des médias…

Les pays arabes ne peuvent condamner l’offensive du Hamas en raison de leur opinion publique, mais non plus la soutenir. L’Arabie saoudite a mis un terme à son rapprochement avec Israël et, à l’inverse, le Qatar essaye pour sa part de faire oublier l’important soutien qu’il a apporté au mouvement terroriste depuis plus d’une décennie. Enfin, on note la grande inquiétude de l’Égypte de voir arriver sur son sol au moins un million de réfugiés de Gaza.

Mais ce qui est le plus préoccupant aujourd’hui est la réaction américaine à venir. Les images des crimes et des enlèvements du Hamas ont profondément choqué l’opinion publique d’outre-Atlantique, par tradition solidaire d’Israël (d’autant que des citoyens américains font partie des victimes et des otages). Ces événements ne font que raviver leurs souvenirs du 11 septembre 2001. Leur réaction risque donc d’être très virulente. Par ailleurs, compte tenu de la situation actuelle à Washington, la guerre au Moyen-Orient est une aubaine pour les Etats-Unis. Elle peut leur permettre de faire passer au second plan la crise politique (risque de Sequester) et peut être favorable pour Biden dans la perspective des présidentielles à venir.

On mesure déjà qu’à Washington, plus personne n’est intéressé par l’Ukraine. Il y désormais une totale polarisation sur le Proche-Orient et surtout sur l’Iran que beaucoup rêvent de frapper. Les Etats-Unis sont prêts à utiliser le moindre prétexte, fondé ou non, pour lancer des actions contre Téhéran. Il y a désormais 2 porte-avions de l’US Navy en Méditerranée, en plus de ceux du golfe Persique. Washington pourrait aussi laisser Netanyahu frapper l’Iran afin de réduire définitivement la menace nucléaire… Tout cela est évidemment très mauvais pour l’Ukraine. On observe d’ailleurs déjà un redéploiement de l’aide et des moyens en renseignement américains vers le Moyen-Orient. Enfin, la situation est plutôt favorable aux intérêt russes, Moscou ayant toujours soutenu la cause palestinienne, notamment dans son combat contre l’Ukraine.

 

A.B : Cette nouvelle guerre prouve-t-elle encore que la paix soit vouée à l’échec et pourquoi ce conflit semble être sans fin ? Et si non, quelles seraient pour vous les solutions ?

E.D : Une réaction en deux temps me paraît nécessaire. Tout d’abord il faut rappeler le caractère inacceptable de l’opération du Hamas : cibler délibérément des civils constitue un crime de guerre, que les victimes soient palestiniennes ou israéliennes. Nous devons donc être solidaires des Israéliens face à cette barbarie comme dans leur action de destruction des Brigades Ezzedine al-Qassam, l’aile armée du Hamas, mouvement issu de l’idéologie mortifère des Frères musulmans. Mais dans un second temps, il sera indispensable qu’une solution soit enfin trouvée à cette crise israélo-palestinienne qui dure depuis trois-quarts de siècle, quitte à y contraindre très fermement les dirigeants israéliens qu’il convient également d’empêcher de poursuivre la colonisation illégale en Cisjordanie. Une solution à deux États doit aboutir rapidement. L’offensive de Gaza doit aller de pair avec de vraies propositions afin de permettre la création d’un État palestinien. Sans cela, la situation à laquelle nous venons d’assister se reproduira dans deux ou trois ans.

J’adhère à la déclaration pleine de bon sens de John Paul, un diplomate de haut rang du département d’État américain qui vient de démissionner devant le soutien « inconditionnel » de Washington à l’offensive israélienne contre Gaza – laquelle a déjà fait plus des milliers de morts et plus de 15 000 blessés, sans compter les centaines de milliers de déplacés – , car la loi du Talion ne mène à rien : « L’attaque du Hamas sur le sol israélien est une « monstruosité », (…) mais je crois au plus profond de moi-même que la réplique d’Israël, soutenue par l’administration américaine, n’entraînera que plus de souffrances aussi bien du côté israélien que palestinien : livrer d’urgence de l’armement à l’un des belligérants ne peut qu’être injuste et destructeur ».

Entretien réalisé par Angélique Bouchard en octobre 2023.

 


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